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Émilie Plateau face à la ségrégation et à l’homophobie

13 mars 2019 |

emilie-plateau_photo Après une formation aux Beaux-Arts de Montpellier, Émilie Plateau rentre, en autodidacte de la BD, chez l’éditeur 6 pieds sous terre. Elle crée, par la suite, pour son fanzine et son blog Comme un plateau, un univers au trait minimaliste, dont l’essentiel des histoires a été publié en 2012. D’une résidence québécoise, elle tirera De l’autre côté à Montréal, l’histoire de son quotidien outre-Atlantique. Elle publie par la suite Moi non plus, pour exorciser sa rupture douloureuse. Aujourd’hui, elle s’impose chez Dargaud avec Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin, une BD qui sort de l’intime de l’autrice et aborde la ségrégation envers les Afro-Américains dans les années 50. Elle revient pour BoDoï sur la création de ce livre et ses projets.

Comment est née l’idée de s’attaquer au thème de la ségrégation ?

Après Moi non plus, une BD très personnelle, j’avais besoin de faire une pause. J’ai fait quelques commandes pour le monde de l’édition, puis j’ai appris que la romancière Tania de Montaigne cherchait quelqu’un pour adapter son roman Noire. Cette histoire m’a touchée par sa façon d’aborder les thèmes du sexisme et du racisme. J’ai également été sensible à l’écriture de Tania de Montaigne. J’ai lu plusieurs fois le roman et je me suis mis à prélever des phrases, surtout celle concernant Claudette Colvin, cette jeune Afro-Américaine qui refusa, avant Rosa Parks, de céder sa place à un blanc dans un pays ségrégationniste. Je me suis mis ensuite à réadapter en dialogues certains passages. La BD s’est construite ainsi.

Pourquoi Claudette Colvin, plutôt que des personnes illustres comme Rosa Parks ou Martin Luther King ?

noiore-busClaudette Colvin, c’est la petite histoire dans la grande Histoire. Elle a été oubliée car elle collait mal au mouvement pour les droits civiques : sa jeunesse, son adolescence, son milieu très pauvre, sa couleur de peau « trop foncée » et puis cette grossesse non désirée. Rosa Parks, elle, était une femme mariée, impliquée dans la vie religieuse et elle militait déjà au NAACP (National Association for the Advancement of Colored People). Martin Luther King, lui, était un pasteur, un homme. Il n’était pas question de minimiser l’impact de Rosa Parks et de Martin Luther King mais il faut se dire que, pour Claudette, ça a été dur aussi. Et moi, je me sens en totale empathie avec ce personnage. C’est une véritable héroïne, sa famille voulait déménager pour la préserver, notamment des menaces du Ku Klux Klan. Mais elle est revenue, elle a voulu rester. J’ai aussi évoqué, à la suite de Tania de Montaigne, la vie d’autres illustres inconnues comme Jo Ann Robinson, professeure d’anglais à Montgomery, qui voit dans l’arrestation de Claudette Colvin un motif de boycott et qui n’est pas suivie par les leaders noirs de la ville.

Comment avez-vous collaboré avec Tania de Montaigne ?

J’ai lu le roman cinq à six fois, j’ai écrit une vingtaine de pages, puis j’ai dessiné. Tania de Montaigne a relu puis a corrigé. Nous avons continué ainsi tout au long du processus de création. Quand je travaille sur une BD, j’écris beaucoup, puis j’élague. La narration a été conçue avec l’idée de faire disparaître progressivement Claudette Colvin, avant de lui redonner corps, et sa place dans l’Histoire. Le fil conducteur narratif était vraiment de rendre justice à cette femme, de conter la petite histoire sans perdre de vue l’aspect universel sur l’oppression des minorités.

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Il y a des zones laissées dans l’ombre, comme cette grossesse évoquée mais peu expliquée.
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J’élude assez rapidement l’histoire du père avec un traitement « hors champ ». Quelques paroles, pas d’images. Il était important de montrer que Claudette était enceinte, pour expliquer le fait qu’elle ne pouvait pas porter la parole des Afro-Américains dans un monde encore très puritain. Pourtant, il était aussi crucial de ne pas insister lourdement : d’abord parce que Claudette est restée discrète sur le sujet, et puis parce que, à l’époque, on ne parlait pas de ça, encore moins qu’aujourd’hui.

Quelle a été votre démarche graphique ?

Mon trait est, comme dans mes précédents ouvrages, minimaliste. J’ai appris cela en tant qu’autodidacte. Je dessiner un crayonné à la table lumineuse, puis je reprends le trait à l’aide de Photoshop. L’utilisation d’un nombre restreint de couleurs était aussi souhaitable pour viser à une forme de simplicité. Et puis cela faisait sens : ce petit personnage évoque la fragilité et la solitude de l’être face à l’Histoire. J’ai tenu aussi à introduire des paysages, des plans plus larges, comme autant de respirations graphiques et narratives. Par exemple, au début, je propulse le lecteur dans la vie de Claudette Colvin par un processus immersif. On survole les États-Unis, les grands espaces, la ville de New-York, puis on file vers le Sud, les champs de coton, l’Alabama, enfin la ville de Montgomery, et Claudette Colvin. Cela alterne avec les histoires des protagonistes qui se débattent face à l’intolérance et l’injustice.

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Et pour l’avenir ?

Pour l’instant je n’ai pas de projets spécifiques, je continue mon fanzine Comme un plateau. J’ai repris le fil d’histoires du quotidien, plus personnelles, plus intimes, qu’on peut commander sur mon site. Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin m’a débloquée sur des sujets qui me touchent, comme l’homophobie.

Propos recueillis par Marc Lamonzie

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Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin.
Par Émilie Plateau d’après Tania de Montaigne.
Dargaud, 18 €, janvier 2019.

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