Il râle, il grommelle, il radote, Ernesto. Il se traîne et puis, ouille, il nous fait un petit malaise cardiaque. C’est qu’il se fait vieux, Ernesto, mais ses souvenirs d’Espagne sont toujours vivaces. Car il a laissé là-bas l’espoir d’une République et surtout l’amour de sa vie, balayés, massacrés par la dictature de Franco. En France, Ernesto a vu sa fille et ses petits-enfants grandir. Mais lui et son ami Tomas ne rêvent que d’une chose: franchir la frontière dans l’autre sens et respirer de nouveau l’air de leur pays, qui est en train de faire sa mue. Chiche ?

Avec son trait d’apparence fragile, qui semble se balancer au moindre souffle de vent, Marion Duclos propose une vision douce et très humaine de l’exil des opposants à Franco, qui trouvèrent refuge en France, souvent dans des conditions horribles, du moins au début. L’auteure de Victor & Clint ne fait pas dans le documentaire ou la pesante bande dessinée historique : par petites touches sensibles, elle tire le portrait d’une génération de Républicains au coeur et à l’âme meurtris de vivre loin de leur terre natale, où ils ont abandonné leur mémoire et souvent des membres de leur famille. Un déchirement qui rend parfois ces vieillards amers ou irascibles, car ils l’ont gardé pour eux trop longtemps, entraînant un malaise et une incompréhension chez les générations suivantes.

Avec juste ce qu’il faut de mots, au fil de saynètes légèrement colorées, comme autant des courts-métrages d’animation embaumés d’effluves de Gitanes et de paella, et animés par des cris d’enfants ou le vrombissement du moteur d’une petite Fiat, Marion Duclos délivre un album sincère et poignant, doux et bienveillant. Un vrai regard d’auteur pour une belle réussite.