Eros X SF
Disciple de Tezuka, Shotaro Ishinomori (1938–1998) est l’auteur de bande dessinée le plus prolifique de tous les temps, ayant dessiné environ 770 histoires qui brassent tous les genres imaginables. Ainsi, ses titres disponibles en français vont de la biographie d’artiste (Hokusai) à la science-fiction (Le Voyage de Ryu), en passant par le jidaigeki (Sabu et Ichi), les exploits de super-héros (Cyborg 009) ou le récit financier (Les Secrets de l’économie japonaise). Avec Eros X SF, recueil de 15 nouvelles publiées entre 1968 et 1975, Le Lézard noir présente la production érotique du maître.
Si l’auteur mélange le sexe à la science-fiction, c’est que pour les jeunes adultes amorphes qu’il met en scène, un coup de pouce venu d’ailleurs – le plus improbable restant la transformation de gâteaux japonais en femme dévouée – est le seul moyen d’accéder à l’amour et à la chair. Cette misère sexuelle est le reflet d’une passivité maladive, d’une angoisse face à l’avenir, et derrière l’humour se cachent le chômage ou la perte de repères. Dans ces histoires qui finissent en eau de boudin, Ishinomori semble inviter le lecteur à se prendre en main pour concrétiser ses désirs, au lieu d’attendre qu’une solution ne tombe du ciel. Cette première thématique court sur près de 200 pages, avant que la suite ne délaisse totalement la SF désuète et ses ficelles un peu pénibles, à la longue. S’ouvre alors la moitié la plus mûre d’Eros X SF, où règne une mélancolie ambiante, un rapport à la sexualité plus grave et terre-à-terre. Là se trouvent également les plus belles idées graphiques. Dans Rouge lointain, véritable perle de mise en scène, les cases répondent aux traumatismes d’un homme marqué par la vue de ses parents en pleine pratique du bondage. Plus loin, les estampes érotiques d’Utamaro finissent par se confondre avec le propre style graphique de l’auteur, dans une élégante ode au mélange des fluides.
Fascinante, cette seconde moitié d’Eros X SF justifie à elle seule l’achat du pavé. Dans une forme souvent expérimentale, ces nouvelles posent de nombreuses questions sur la place du sexe dans une vie et, si elles n’expliqueront pas pourquoi le Japon en arrive aujourd’hui à l’accroissement « d’herbivores » – ces jeunes qui n’ont aucun intérêt pour la sexualité –, forment un précieux témoignage des mœurs de l’époque.
Otona na Ishinomori © 2012 SHOTARO ISHInoMORI/ISHIMORI PRODUCTION INC. © Le Lézard Noir 2014 pour l’édition française
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