Étienne Davodeau explore l’errance d’une femme
Avec Lulu, femme nue, Étienne Davodeau se remet à la fiction. Spécialiste du reportage dessiné, l’auteur des Mauvaises gens ou d’Un homme est mort (avec Kris) s’octroie une parenthèse imaginaire avec un diptyque finement ciselé. Il y est question d’une certaine Lulu, mère de famille usée et attachante, qui s’offre une escapade dont on ne connaît pas la durée. Cette femme en recherche d’emploi part au bord de la mer, rencontre un homme puis s’en détache…
Qui est Lulu ?
Une femme qui veut prendre un peu de temps pour elle. Certains crétins peuvent la qualifier de « ménagère de moins de 50 ans ». Ce n’est pas une femme de tête, et elle éprouve une certaine frustration : sa vie ne la satisfait qu’à moitié. Lulu est en retrait, subit les choses, en particulier un mari plutôt lourdaud. À sa grande surprise, elle se retrouve sur la côte, spectatrice de ce qui lui arrive, et en vacance – au singulier. Sans occasion concrète ou rationnelle d’utiliser son temps. Elle se débrouille comme elle peut face à cela.
Cette vacance, est-ce un état que vous connaissez ?
Oui. En tant qu’auteur, je vis un peu à la marge. J’ai la chance de ne pas avoir un travail salarié, de ne pas devoir passer huit heures par jour à mon poste. Je me sens extrêmement privilégié, même si cela induit une certaine précarité. Je peux gérer mon temps comme je l’entends. Et j’adore ne rien foutre. Ce qui n’est pas évident : tout le monde ne sait pas rester inactif. Certains paniquent, craignent de se retrouver face à eux-mêmes, et ont besoin de faire quelque chose pour se sentir exister.
Pourquoi vous centrer sur cette femme à la dérive ?
À la base, je voulais m’intéresser aux adultes qui disparaissent volontairement. Ces gens quittent leur contexte habituel sans garder de lien avec leur famille. Et ils en ont tout à fait le droit ! Si la police les retrouve, ils peuvent exiger qu’elle ne donne pas de nouvelles à leurs proches. Et puis, comme souvent, j’ai dévié de ma route originelle, mon sujet a changé : je me suis concentré sur le temps libre, la parenthèse qu’on s’autorise dans une vie. Je suis transporté par le banal, le quotidien. L’héroïsme m’emmerde, il donne aux choses une dimension trop frontale et crée une dichotomie trop nette.
Pourquoi avoir choisi une femme comme personnage principal ?
Il y en a peu dans mes livres. Raconter son histoire, plutôt que celle d’un homme, me permettait d’aborder plus facilement le thème de la famille. Mais je ne me sentais pas à l’aise à l’idée de me glisser dans la peau de Lulu. C’est pourquoi j’ai choisi une astuce narrative : son parcours est raconté par un ami qui la suit. Dans le second tome, il y aura un autre narrateur.
Ce diptyque a donc été précisément conçu…
Dès le départ, je savais que ce récit comporterait deux volumes. J’ai toutefois voulu me laisser une grande part d’improvisation. L’architecture globale de l’histoire était imaginée, mais avec de larges espaces vierges. J’aime le plaisir et la frayeur que cela procure. Je me fais parfois coincer ou surprendre, c’est selon.
Pourquoi ce retour à la fiction ?
Après plusieurs BD-reportages, j’avais envie d’une plus grande liberté d’écriture, d’un récit plus ouvert. Les histoires basées sur la réalité sont contraignantes à réaliser, aussi bien sur le fond que sur la forme. Elles demandent un travail et une énergie supérieurs à la fiction. Quand j’en sors, je suis sur les rotules ! Pour traiter de faits réels, il faut beaucoup de vigilance : on doit tenir compte des gens, de leur ressenti face au projet. En général, j’essaie de faire des livres avec eux plutôt que sur eux. Je leur montre mes planches au fur et à mesure, et je les modifie selon leurs réactions. J’appelle cela de la bande dessinée de contact.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Le second tome de Lulu. Et la suite de Géronimo, avec Joub. Le dessin du deuxième volume est quasi terminé, et le troisième est déjà écrit. Le reportage dessiné me démange à nouveau, et j’ai plusieurs pistes de sujets, mais rien d’assez précis pour pouvoir en parler.
Propos recueillis par Laurence Le Saux
Images © Futuropolis
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Lulu, femme nue #1 par Étienne Davodeau.
Futuropolis, 16 €, le 6 novembre 2008.
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