Freak’s Squeele et Jeanne/Pistouvi : pourquoi la couleur ?
Deux petits bijoux de la bande dessinée francophone récente, créés en noir et blanc, viennent de s’offrir une nouvelle édition tout en couleurs. Mais à quoi bon ?
Prenons d’abord le cas Pistouvi. Cette fabuleuse bande dessinée écrite par Merwan et dessinée par Bertrand Gatignol est sortie à l’automne 2011, en version one-shot, dans un format souple avec jaquette, légèrement plus grand qu’un manga. L’influence de la BD japonaise est assumée, tant dans l’aspect du livre que dans son contenu même, puisqu’on y retrouve une atmosphère évoquant les dessins animés de Miyazaki, des personnages aux grands yeux, de la poésie bucolique et des rapports conflictuels entre l’homme et la nature.
Vraie-fausse surprise, fin janvier et fin février dernier, on voit débarquer en libraire cette histoire, avec un nouveau titre et une nouvelle version : Jeanne, c’est Pistouvi, en deux tomes grand format, cartonnés et tout en couleurs. Une mise en couleurs que l’on doit à Nathalie Coirier et Arnaud Baudry, qui ont opté pour des teintes vives et bien tranchées, avec des dégradés discrets pour le ciel ou certains décors. Globalement, ça fonctionne, à part peut-être la surabondance de grandes cases un peu vide (en raison du format agrandi), qui donne une tonalité jeunesse à la plupart des séquences. Tout comme les couleurs, d’ailleurs, qui tendent à faire verser ce récit plutôt sombre vers une ambiance plus douce et lumineuse, plus proche d’un dessin animé.
Penchons-nous ensuite sur le cas Freak’s Squeele. Cette série chouchou de la rédaction de BoDoï – dont le cinquième tome vient de sortir – compte depuis l’origine une partie en couleurs au sein de chacun de ses gros volumes noir et blanc (lire l’interview de Florent Maudoux). Comme une parenthèse magique et luminescente, une récréation graphique au milieu de ses pages denses et bien remplies. À l’instar de Pistouvi, Freak’s Squeele vient de connaître une re-sortie, sous le même titre, mais dans un format légèrement agrandi, chaque tome étant divisé en deux volumes, et le tout intégralement en couleurs (« en terrifocolor » proclame la couverture).
C’est l’auteur, Florent Maudoux, qui a réalisé lui-même les couleurs, dans le même style que celles que l’on connaissait déjà dans les versions classiques, c’est-à-dire loin d’être une bête succession d’aplats ou dégradés automatiques. Car les couleurs de Freak’s Squeele sont plutôt des ambiances lumineuses, des déclinaisons d’une même teinte dans une même case ou succession de cases. À première vue, la nouvelle version 100% couleurs est plutôt agréable, dynamique et originale. À y regarder de plus près, toutefois, les spécialistes risquent d’être un peu déçus par la colorisation de certains passages, avec des cases à l’arrière-plan faiblement teinté et sans texture (et qui paraissent donc un peu vide) ou parfois même laissé blanc (comme à l’origine) ! Une colorisation partiellement convaincante donc, si on s’attache à tous les détails.
Mais la vraie question, dans les deux cas, demeure : à quoi ça sert ? Pourquoi sortir, quelques mois après la version originale, une version soumise aux lois du franco-belge ? Pourquoi redémarrer une série toujours en cours avec des albums plus calibrés ? La réponse est simple : pour conquérir un nouveau public, élargir la cible potentielle, trouver une autre place en librairies et donc gagner un peu mieux sa vie. Car un format manga se trouvera forcément parqué à côté de ses cousins nippons dans les rayonnages, alors que, créé en France, Pistouvi aurait pu séduire tout le monde. Parce qu’il y a des « allergiques au noir et blanc » comme le souligne Florent Maudoux, et qu’il est dommage qu’ils ne s’immergent pas dans Freak’s Squeele en raison de cet a priori. Et puis, bien sûr, il y a un intérêt en termes de chiffre d’affaires. Car deux albums de Jeanne à 12,99 € valent plus qu’un Pistouvi à 12,95 €. Et deux Freak’s en couleurs à 11,90 € rapporteront plus qu’un seul à 14,90 €. Pour les auteurs, ça semble une bonne nouvelle. Pour les collectionneurs hardcore, qui veulent se payer toutes les versions, c’est un peu rude. Mais c’est la dure loi de la bande dessinée, et surtout, chacun devrait y trouver son compte (moi, c’est certain, je préfère le noir et blanc).
_____________________________________
Jeanne #1 et #2.
Par Bertrand Gatignol et Merwan.
Dargaud, 12,99 € le volume, janvier-février 2012.
Freak’s Squeele – Étrange université #1/2.
Par Florent Maudoux.
Ankama, 11,90 €, février 2012.
_____________________________________
-
Je troue Freak’s Squeele plus interessant pour l’aspect graphique que pour le scénario (j’ai lu uniquement le premier tome). En couleur je trouve que ca perd beaucoup de charme (pour ne pas dire que j’ai trouvé cela laid). Je comprend l’impératif commercial mais artistiquement je trouve que c’est un peu une regression.
-
Je troue Freak’s Squeele plus interessant pour l’aspect graphique que pour le scénario (j’ai lu uniquement le premier tome). En couleur je trouve que ca perd beaucoup de charme (pour ne pas dire que j’ai trouvé cela laid). Je comprend l’impératif commercial mais artistiquement je trouve que c’est un peu une regression.
Commentaires