« Gotham » : comment faire sans Batman ?
Quelques semaines après son lancement, coup de projecteur sur la série TV Gotham qui retrace la genèse de Batman et de ses alliés et adversaires les plus emblématiques. Du déjà vu, mais jamais sur le petit écran. Harvey Dent, quel est le verdict ?
De Batman, on commence à connaître à peu près tout. Passé (Batman Year One, Batman Begins), présent, futur (Batman Year 100), aucun élément biographique n’a été laissé dans l’ombre en 75 ans d’aventures en comics, mais aussi au cinéma, dans des jeux vidéo et moult séries animées. Pas vraiment de grosse révélation sur le personnage à attendre, donc, de la part de Gotham sur Fox (en France sur TF1 à la demande, 24 heures après la diffusion US), énième prequel lancé à la rentrée. La série a néanmoins le mérite de sonner le retour de Batman à la télé – dans une fiction live s’entend –, près de 50 ans après un précédent culte mais kitsch, qui avait un peu fait du mal au mythe avec le bidon d’Adam West et les POW ! et WHIZZ ! assénés à l’écran.
Précision : on dit Batman, mais c’est de Bruce Wayne qu’il faudra se contenter dans Gotham, tout du moins pour commencer. Car quand on le découvre ici, dans la scène fondatrice vue/lue 1000 fois de l’assassinat de ses parents, il est âgé d’une dizaine d’années et ne semble pas près d’enfiler le masque et la cape de la chauve-souris. Il s’agirait de ne pas trop parasiter les plans cinéma mégalo de Warner. Circonscrit à un second rôle, le petit Bruce laisse la vedette à un homme plus mûr, Jim Gordon (Ben McKenzie), futur commissaire, mais pour l’heure fraîche recrue du Gotham City Police District.
Polar stylisé et clins d’oeil aux fans
Pour les scénaristes, tout le challenge est là : comment nous faire pénétrer sous leur chapiteau tout en nous avouant à l’entrée que le clou du spectacle n’est pas au programme ? Ce défi, d’autres l’ont relevé auparavant. Il y a le cas de la BD Gotham Central, bien sûr, qui a fatalement servi de lointaine feuille de route avec son efficace run mettant en vedette de simples flics du GCPD. Mais aussi tout un tas de récits uniques ou séries annexes publiés par DC dans lesquels Batman n’était au mieux que figurant, qu’ils aient pour protagonistes principaux ses alliés Robin (voir le Année Un sorti récemment par Urban Comics), Batwoman ou Nightwing ou bien sûr ses ennemis. La richesse du Batverse (et sa notoriété auprès du grand public) a peu d’équivalent dans le monde des comics et Gotham, la série, en tire largement profit.
Les clins d’œil aux fans ne manquent pas. Les apparitions de « guests » non plus, à commencer par les méchants les plus iconiques, à découvrir ici dans leur prime jeunesse à l’image d’un chouette Pingouin encore relativement fringant ou d’une Catwoman dans sa phase ado revêche. Le pilote, à ce titre, en fait trop en les alignant comme des trophées à chaque scène. Les choses se calment heureusement par la suite et la série trouve son rythme en assumant sa nature de polar, mais attention, un polar stylisé et surtout pas « réaliste ».
Une jolie esthétique de film noir
Car on l’attendait un peu au tournant, le premier Batman post-Christopher Nolan. La trilogie du réalisateur, avec Christian Bale dans le rôle-titre, avait choisi d’inscrire le personnage dans un univers crédible et le plus éloigné possible de toute fantaisie propre aux comics d’origine. On espérait néanmoins qu’à la télé en version feuilleton, Batman redevienne un peu plus pop, un peu plus pulp en tout cas. La principale réussite de la série est de donner vie à l’écran à une Gotham City à mi-chemin du splendide Disneyland gothique de Tim Burton et du Manhattan contemporain à peine déguisé dépeint par Nolan dans The Dark Knight Rises. Un simili-New York à la skyline hérissée de châteaux d’eau et arborant de ci-de là buildings tortueux et gargouilles menaçantes.
Esthétiquement, la série lorgne vers le film noir, jouant sur une esthétique volontairement intemporelle, avec de notables touches rétro (feutres mous, cabarets, rendez-vous mafieux dans des restos italiens), servie par une belle photo contrastée qu’on croirait piquée à Boardwalk Empire. Mais l’on retrouve aussi des accents 70’s dans la manière de filmer Gordon et son coéquipier Harvey Bullock (Donal Logue) en train d’écumer les rues mal famées de Gotham la corrompue, à la recherche de suspects et informateurs à secouer. Gordon évolue d’ailleurs au sein du GCPD tel un Serpico, seul flic honnête au milieu d’un ramassis de ripoux. À la direction artistique, Danny Cannon, venu des Experts, a plutôt fait du bon boulot.
Scénario sans surprise
C’est côté scénario que le bât blesse pour l’instant. Bruno Heller (Rome, Mentalist) respecte le cahier des charges : boucler une intrigue policière à chaque épisode avec le méchant de la semaine et tisser en arrière-plan la grande mythologie de Batman, notamment via les entrevues régulières de Gordon avec « maître Bruce » et son fidèle Alfred au manoir Wayne. Un programme plan plan, solide mais sans originalité, raccord avec le rôle de réserviste de la saga Batman qui est dévolu à la série : mettons que les films soient l’équivalent des beaux recueils cartonnés pour collectionneurs (les films de Nolan seraient alors le pendant des prestigieux one-shots d’auteur type Arkham Asylum et ceux de Zack Snyder, des gros cross-over événement type Infinite Crisis), Gotham serait plus modestement un carton de fascicules des séries secondaires publiées par DC, type Legends of the Dark Knight ou le Detective Comics du New 52. À réserver à ceux qui considèrent qu’il n’y a jamais trop de Batman dans leur vie. De Bruce Wayne, tout du moins.
Images © Fox Broadcasting Co.
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