Halim Mahmoudi: « Nous vivons dans une société dans laquelle le mensonge est omniprésent »
Alors que le ministre de l’Immigration vient de lancer un grand débat sur l’identité nationale, que les écoles voient leur personnel de plus en plus restreint, que la police doit faire toujours plus de chiffre avec moins d’effectifs de proximité, voilà un album qui tombe à point nommé. Arabico met en scène un gamin d’origine arabe comme il y en a tant dans les villes françaises, ni rebelle, ni délinquant, seulement un peu paumé. Parce qu’il a égaré sa carte d’identité, qu’autour de lui les employeurs ferment systématiquement la porte aux non-blancs, et que les sans-papiers sont expulsés manu-militari du territoire, il se met à sérieusement flipper. Halim Mahmoudi, auteur de cette bande dessinée coup-de-poing – parfois maladroite mais 100% sincère -, met le doigt sur les problèmes concrets de la vie dans les quartiers d’aujourd’hui. Et n’a pas la langue dans sa poche.
Comment l’idée d’Arabico est-elle née ?
Je voulais raconter la vie d’un petit garçon qui grandit, tout simplement. Si je pouvais me cantonner à ça, ce serait bien ! Mais je suis obligé de parler du contexte familial et social de la vie dans une cité. Toutefois, je désirais me concentrer sur l’intime. Pas comme les rappeurs, qui n’arrêtent pas de parler de la rue. Je voulais raconter le quotidien à l’école, à la maison, avec papa et maman.
Est-ce un album autobiographique ?
Non. Je me suis bien sûr inspiré de ma jeunesse, mais aussi d’histoires racontées par des gens autour de moi. Arabico est un personnage-somme, qui me permet de décrire un contexte social fort. Fort, mais pas lourd. Je ne décris pas un quartier dangereux, comme peuvent le faire des journaux du style de Paris-Match, mais un quartier potentiellement en danger. Je cherche à être réaliste, à trouver le bon équilibre.
Dans une scène surprenante, le petit garçon demande à sa mère s’il est français et elle lui répond que non (alors qu’il l’est, puisqu’il est né en France). C’est votre participation au débat sur l’identité nationale ?
Il me semble que ce débat n’est qu’un enjeu politique de plus. Il est mal posé et n’interroge que les élites. Je ne pense pas que ces dernières donneront la parole aux gens concernés, à l’Éducation nationale par exemple… En tout cas, il y a clairement des problèmes plus urgents. L’image que le ministre Eric Besson nous renvoie est celle de vulgaires parasites qui ne pensent qu’au fric. C’est déshumanisant. Quant à la scène que je décris dans Arabico, elle est somme toute assez banale lorsqu’on vit dans des familles d’origine étrangère, notamment arabe. Qui ont une forte volonté de perpétuer les traditions, les coutumes. Mais ça peut aller assez loin. Lorsqu’un jour je me suis rendu au consulat d’Algérie afin d’obtenir un visa pour aller là-bas, le fonctionnaire m’a dit en voyant mon nom sur ma carte d’identité (française): « Mais tu n’a pas besoin de visa, tu es arabe, toi! »
Ce besoin de rappeler constamment les origines constitue-t-il un enfermement ?
Au départ, il s’agit plus d’une contradiction que d’un enfermement. Cette contradiction bouscule les enfants (ils ne seraient ni français, ni arabes), parce qu’à cet âge-là, même si on capte beaucoup de choses, on ne s’explique pas tout. L’enfermement vient plus tard, avec notamment les querelles familiales, à propos des mariages par exemple: les familles remettent les origines sur le tapis et ça alimente leurs petites guerres intestines… Mais l’enfermement est également entretenu par les institutions sociales, politiques et médiatiques, qui elles aussi nous rappellent en permanence nos origines. On nous fait comprendre quelle est notre place dans la société et, en toute logique, nous nous replions sur nous-mêmes. C’est ainsi que naissent les crispations identitaires. Enfin, il y a la discrimination à l’embauche. Certains quartiers connaissent près de 50% de taux de chômage, alors que des entreprises viennent s’installer dans ces zones franches, profitant d’exonérations fiscales et d’aides. Mais elles n’embauchent même pas les habitants des quartiers !
C’est un sujet rarement abordé en bandes dessinées, en tout cas de manière si frontale…
La parole se libère petit à petit, mais très lentement. Le rap s’est emparé du sujet, mais n’a pas réussi à être suffisamment audible. Il y a aussi trop peu de choses en littérature ou au cinéma, ou alors des histoires de flingues. Et ceux qui en parlent, comme la romancière Marie NDiaye [qui n’avait pas encore obtenu le prix Goncourt au moment de l’interview, ndlr] ou le cinéaste Abdellatif Kechiche, n’ont pas la couverture médiatique qu’ils méritent. On est dans un perpétuel dialogue de sourds entre les habitants des quartiers, les institutions et les médias. Et, comme toujours, l’ignorance mène à la peur.
Pourtant, des événements tels que les émeutes de Villiers-le-Bel ont attiré l’attention sur les quartiers.
Oui, mais j’ai l’impression que les médias ont préféré brosser le portrait d’un ennemi intérieur plutôt que de véritablement enquêter. Nous vivons dans une société dans laquelle le mensonge est omniprésent. La banlieue n’a pas le monopole des destins qui tournent mal. Et l’État préfère pointer une prétendue augmentation de la délinquance que de parler des pertes d’emploi massives. Il ment en permanence à la population.
Vous avez également un discours très dur envers la police.
Pour moi, la police est au mieux inutile, au pire nuisible. Je ne parle pas de celle qui enquête sur des faits graves, mais celle qui contrôle et verbalise tout le temps. On ne peut pas se targuer de protéger les gens en les envoyant dans les usines à crime que sont les prisons. Et il y a la violence, les bavures pointées par différents rapports officiels, dont un d’Amnesty International, mais dont personne ne parle. Je veux faire baisser les armes au système policier qu’est l’État, qui ne nous parle qu’au travers de menaces. Je souhaite que les policiers abandonnent leur devoir de réserve, qu’ils se rappellent qu’ils travaillent pour nous. Ce n’est pas à nous de faire le premier pas: ce sont des personnes responsables, il ne tient qu’à eux de désobéir, de ne pas servir une politique dangereuse.
N’y a-t-il point besoin de figures d’autorité dans la société ?
Si, bien entendu. Notamment à l’école. Pour moi, le système éducatif n’est pas assez dur, les professeurs ne sont pas assez respectés. Je suis pour une reprise en main de l’école, qui doit être une base pour la société de demain, et une aide pour les familles. Sinon, il ne restera que la réponse répressive. Comme le dit le sociologue Loïc Wacquant: « Quand l’État social recule, l’État pénal avance. »
Avez-vous tout de même de l’espoir ?
Oui, car sinon je n’aurais pas la force d’avancer. J’ai l’impression qu’il y a une prise de conscience collective sur plusieurs sujets en ce moment. L’état de la planète, le fait que le travail tel qu’on le connaît aujourd’hui n’est plus le marche-pied obligatoire vers le bonheur… On est au pied du mur, il faut que ça change, même si je ne sais pas par où ce changement passera. Il faut faire confiance aux citoyens, ils sont intelligents. L’État doit se mettre à leur disposition car sinon leur réaction risque d’être très dure.
Dans Arabico, le ton est grave mais pas totalement sombre…
Je raconte ces gens qui ont la couleur de leur peau en permanence dans la tête, parce qu’on la leur renvoie toute la journée, et qui ne trouvent pas de boulot. Je raconte ces gamins qui voient leurs potes aller en taule et en ressortir, et qui peuvent les prendre facilement pour modèles, même inconsciemment. Avec tout ça, je ne pouvais pas écrire une bande dessinée drôle ! Toutefois, je souhaite aussi montrer qu’un être humain avec un but, une passion, un projet, peut se sauver. Sans pour autant tomber dans la success story…
Propos recueillis par Benjamin Roure
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Arabico #1.
Par Halim Mahmoudi.
Soleil / Quadrants, 10,50 €, le 28 octobre 2009.
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Les propos de l’auteur m’ont donné envie de lire son livre.
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Les propos de l’auteur m’ont donné envie de lire son livre.
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