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Igort affronte la guerre du Caucase pour « Les Cahiers russes »

12 mars 2012 |

igort_introIl vit entre l’Italie, sa patrie, et la France. Igort, 54 ans, auteur de 5 est le numéro parfait ou des Cahiers ukrainiens, poursuit son exploration politico-sociétale des pays de l’Est dans Les Cahiers russes. Il y dénonce « la guerre oubliée du Caucase » – sous-titre de l’album -, marchant notamment sur les traces d’Anna Polikovskaïa, militante des droits de l’homme et journaliste à la Novaia Gazeta, assassinée à Moscou en 2006. Révélant ses liens avec Alexander Litvinenko, ancien agent secret russe empoisonné au polonium l’année de sa mort.

MEP_CAHIERS_RUSSES.inddQuels sont vos liens avec la Russie ?
Je suis italien, mais ma femme est ukrainienne. Enfant, j’ai été imprégné de littérature et musique russes – mon père, compositeur, en était un grand amateur, et ma grand-mère me racontait les vies d’écrivains russes. Il y a quelques années, je me suis rendu en Ukraine avec l’envie de raconter Tchekhov à travers les maisons qu’il avait habitées. Sur place, j’ai ressenti un vrai malaise existentiel. Je ne m’attendais pas à tant de pauvreté. Là-bas, tout ressemble à chez nous, mais rien ne fonctionne vraiment : le premier mot que j’ai appris, c’était « avaria », ce qui veut dire « panne » en français ! Les tuyaux explosent, le chauffage ne fonctionne pas, les gens se baignent dans des eaux polluées où l’on a immergé des sarcophages radioactifs. Figurez-vous que les Russes vivent en moyenne jusqu’à 57 ans seulement ! Ils vivent dans des conditions extrêmement précaires.

Vous avez donc renoncé à votre livre sur Tchekhov…
Oui, j’ai décidé de trouver un interprète et de raconter ce que je voyais autour de moi. J’arrêtais les gens dans la rue pour qu’ils me racontent leur expérience des communistes. Je menais une sorte d’enquête journalistique, je réalisais un documentaire qui se voulait profond et humaniste, inspiré du ton de Pier Paolo Pasolini ou de Wim Wenders. Au début, je n’étais pas sûr d’être capable de transformer ces entretiens – recueillis pendant plus de deux ans – en une bande dessinée. Mais Alain David, mon éditeur chez Futuropolis, m’a tout de suite dit oui et encouragé dans ce sens. Cela a donné Les Cahiers ukrainiens, un ouvrage qui devait former un tout avec Les Cahiers russes. Mais comme c’était trop long, j’ai fractionné le récit.

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MEP_CAHIERS_RUSSES.inddDe quelle façon avez-vous procédé ?
J’ai recueilli toutes sortes de témoignages, en direct, via des associations – comme Médecins Sans Frontières ou Amnesty International –, sur des forums… En Russie, l’atmosphère était inquiétante, on voulait savoir si j’étais journaliste ou politologue. Il valait mieux pour moi ne pas parler du droit des victimes ou d’intérêts économiques, sous peine de me sentir menacé. En s’élevant contre ce système pourri, la journaliste Anna Politkovskaïa est devenue un symbole de la Russie contemporaine. En me centrant sur son parcours, j’ai pu raconter un pays blessé, en guerre, où des officiers mutilés demandent la charité, où l’on a perdu toute vision morale. Galia Ackerman, traductrice et amie d’Anna, m’a aidé à comprendre tout cela. J’ai cherché à poser des questions plutôt que donner des réponses, sortir des statistiques et donner des visages aux victimes, sans juger quiconque. C’est pour cela que je montre comment la guerre du Caucase brise des vies des deux côtés, chez les Tchétchènes comme chez les militaires russes.

De quelle façon s’y prend-on pour raconter des événements aussi brutaux ?
Ce livre a été le plus difficile à réaliser de ma carrière. En trente ans, je n’ai jamais représenté tant de violence. Chaque matin, je regardais mes croquis de repérages, mes photos, et je n’arrivais pas à trouver le courage de m’y mettre. J’avais le sentiment de détester la Russie, d’être devenu un martyrologue. Je me suis forcé à dessiner pour des raisons morales, pour faire comprendre ce qui se passe là-bas.

MEP_CAHIERS_RUSSES.inddComment représenter cette violence difficilement soutenable, justement?
Je ne souhaitais pas que le lecteur se sente puni à la lecture de l’album, et je déteste la pornographie de la douleur. J’ai donc usé d’un langage dessiné métaphorique, assez peu réaliste, avec des silhouettes, des codes graphiques qui évitaient la cruauté brute.

Avez-vous prévu de retourner en Russie?
J’ai récemment été invité à un festival à Saint-Pétersbourg. Mais je ne remettrai pas les pieds là-bas tant que Vladimir Poutine sera au pouvoir.

Quel regard portez-vous sur les manifestations anti-Poutine?
Ce sont des démarches très courageuses. Mais j’ai peu d’espoir : Poutine a muselé ou emprisonné tous ses opposants. Pour trop de gens là-bas, la démocratie reste une imposture occidentale.

Quels sont vos projets?
Ce long voyage m’a comme étourdi, il m’a fait réfléchir à la religion, au mysticisme. J’ai donc entamé des Cahiers mystiques, autour du soufisme, d’influences religieuses caucasiennes. Et leur réalisation risque de me prendre des années…

Propos recueillis par Laurence Le Saux

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Les Cahiers russes
Par Igort.
Futuropolis, 22€, le 5 janvier 2012.

Images © Futuropolis.

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