It’s Lonely at the Centre of the Earth
À 26 ans, Zoe Thorogood est considérée comme une des plus belles promesses de la BD britannique. Remarquée avec Dans les yeux de Billie Scott, elle a tapé dans l’œil de plusieurs éditeurs dont Image Comics. En 2022, son deuxième roman graphique, cette fois beaucoup plus autobiographique, lui vaut 5 nominations aux Eisner Awards : il lui a été inspiré par la dépression dont elle souffre depuis l’adolescence, maladie qui l’a poussée jusqu’à la tentative de suicide en juillet 2021. It’s Lonely at the Centre of the Earth, c’est son titre, est un ambitieux pavé rédigé à la premiere personne. Et aussi à la 2e et à la 3e personne du singulier, à la première du pluriel… Car des Zoe dans l’ouvrage, il y en a plein. Autant d’avatars qui représentent chacun soit une étape de sa vie, soit un état d’esprit, bénéficient chacun d’un traitement graphique très identifiable et dialoguent entre eux.
Le résultat est foisonnant, souvent expérimental, jamais linéaire. Zoe Thorogood se saisit de chaque potentialité offerte par son médium d’expression, la BD, et maîtrise chaque technique de composition, de narration, de typographie, de colorisation, avec une maturité qui force le respect. Ses expériences face à la maladie, face à la dépression – ce monstre noir miyazakien qui lui colle littéralement aux basques –, face aux autres (sa famille, sa meilleure amie, son crush, ses pairs, ses fans…), sont mises en scène avec beaucoup de sensibilité et éclairent vraiment son parcours.
On est plus dubitatifs face à ses tentatives répétées de s’auto-analyser. La frontière entre mise à nu et narcissisme est ténue et l’autrice évolue parfois chaotiquement à la lisière entre courage et impudeur. Les 50 premières pages ont failli avoir raison de notre ténacité. Si l’autrice nous a eu à l’usure, c’est à force d’autodérision. Il y a dans son écriture, malgré la gravité de ce qu’elle traverse, une forme de légèreté dont elle ne se départit jamais qui rend chacun de ses avatars attachant.
Il se peut que certains préfèrent rester à quai. Mais le contrôleur du Zoe-Express a le mérite de faire son annonce en gare dès le départ : cette BD, elle ne s’en cache pas, Thorogood l’a écrite comme une thérapie, avant tout pour elle. À vous de monter à bord ou pas, mais si vous prenez votre billet, vous ne serez pas déçu : comme la vie de la jeune femme, It’s Lonely… tient plus de la montagne russe que du TGV. Il y des hauts et beaucoup de bas, mais le talent est indéniablement là, à l’arrivée.
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