« J’ai tué », série concept décevante
Les éditions Vents d’Ouest (groupe Glénat) ont lancé le 2 septembre trois albums d’une même « série », au concept fort : J’ai tué, ou l’itinéraire de l’assassin d’un personnage historique raconté dans un one-shot.
Dirigée par le scénariste Michaël Le Galli (Batchalo, Insane, Naragam…), cette collection initiée avec trois albums évoque deux périodes clés de l’histoire de l’Humanité et un mythe: d’une part, l’ascension d’Alexandre le Grand et l’élément déclencheur de la Première Guerre mondiale, et d’autre part, le premier meurtre de l’Histoire selon les religions du livre, celui d’Abel par Caïn. À travers ce choix de décrire le parcours d’assassins qui, bien que leurs noms ne soient pas forcément devenus aussi célèbres que leurs victimes, ont participé grandement à la marche du monde, J’ai tué saisit l’occasion de détailler des époques et des contextes pas si souvent abordés en bande dessinée. Hélas, à trop vouloir documenter une époque et un enchaînement de circonstances qui mène un homme à en abattre un autre, les albums – outre peut-être celui sur Abel – demeurent souvent trop lisses et didactiques.
C’est notamment le cas de J’ai tué François-Ferdinand, archiduc d’Autriche. Michaël Le Galli lui-même conte l’organisation de cet assassinat à Sarajevo en 1914, qui allait mettre le feu à la poudrière européenne, déclencher les alliances entre nations rivales et ouvrir la Première Guerre mondiale. On suit donc Gavrilo Princip, jeune Serbe rêvant d’une union de tous les Slaves du Sud hors de la domination austro-hongroise, qui fomente ainsi un attentat contre l’archiduc, incarnation de ce joug. Pas à pas, on découvre comment il réunit une équipe, dégote du matériel et met au point l’attaque. C’est intéressant, mais au fil des pages, l’ennui pointe. Car on n’est bien dans une BD historique et non dans un polar, et l’avalanche de détails et de noms, ajoutée au manque cruel d’action, finit par endormir le lecteur. La superficielle étude psychologique des protagonistes est également très frustrante. Dommage, car le dessin d’Héloret (Robin des bois), à la fois précis et léger, était tout à fait séduisant.
Isabelle Dethan s’en sort légèrement mieux avec J’ai tué Philippe II de Macédoine. Cette spécialiste de l’Antiquité (Les Ombres du Styx, Sur les terres d’Horus…) se penche ainsi sur le régicide par la main de Pausanias d’Orestide, pour en expliciter les motivations. Et imagine qui auraient pu être les commanditaires d’un acte qui ouvre au fils de Philippe, le tout jeune Alexandre (qui deviendra le Grand), les portes du pouvoir… Le scénario est plutôt bien conçu, mais là aussi, les personnages nombreux et le contexte historique complexe (les guerres, la conquête vers l’Est, les mariages et alliances…) empêchent l’album de produire suspense et émotion, d’autant que – écueil supplémentaire – aucun personnage n’est vraiment sympathique… Difficile dès lors de rester passionnant très longtemps. Quant au dessin, Isabelle Dethan semble peiner sur certaines planches à maintenir un trait bien assuré, notamment sur les postures et visages, mais elle enchante toujours par une mise en couleurs directe raffinée.
L’album le plus ambitieux de la série, et le plus attendu aussi, est J’ai tué Abel. Écrit par Serge Le Tendre (La Quête de l’oiseau du temps, Griffe blanche, Golias…) et dessiné par Guillaume Sorel (Le Horla, Les Derniers Jours de Stefan Zweig…), ce one-shot tord légèrement le cou au concept de la série en étudiant, non pas un fait historique, mais plutôt un acte mythique fondateur : l’assassinat d’Abel par son frère Caïn, jaloux de la préférence que lui a manifesté Dieu. Mais Serge Le Tendre détourne encore l’idée : il ne raconte pas vraiment cet épisode biblique, il imagine un meurtre différent dans une autre temporalité, comme une malédiction se perpétuant à travers les âges. Ainsi, il met en scène Hamor, un berger nomade priant Yahvé et prônant la non-violence, opposé à un roi babylonien sanguinaire. Ce dernier se sait invincible, comme condamné à une vie éternelle. Et il va pousser Hamor à se venger de lui, dans le sang. Fort d’un parti-pris complexe et audacieux, l’album n’est pas entravé par un trop grand contexte historique et porte un certain suspense. Le dessin de Guillaume Sorel est quant à lui habité et virtuose. Mais l’ensemble pêche par une certaine monotonie dans le rythme et, tout de même, une idée scénaristique un brin bancale, le lien avec l’histoire d’Abel et Caïn étant peu convaincant. Et l’on referme le livre avec le sentiment désagréable d’avoir lu un conte cruel intéressant mais trop éloigné de la promesse originelle.
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J’ai tué Abel.
Par Guillaume Sorel et Serge Le Tendre.
J’ai tué Philippe II de Macédoine.
Par Isabelle Dethan.
J’ai tué François-Ferdinand, archiduc d’Autriche.
Par Héloret et Michaël Le Galli.
3 albums chez Vents d’Ouest, 15,50 €, septembre 2015.
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