Jason Shiga sort de sa boîte
Après les enthousiasmants Bookhunter, Vanille ou Chocolat ? ou encore Fleep, l’auteur américain Jason Shiga revient avec son nouveau projet trasho-ludique, Demon. Un thriller à mi-chemin entre science et sorcellerie, mettant en scène Jimmy Yee, alter-ego aux multiples vies. Un trentenaire qui, une fois mort, emprunte le corps de la personne la plus proche de lui. Rencontre à Angoulême avec un auteur original, à la rigueur toute lunaire, à l’occasion de la sortie du tome 2 de Demon.
Où situez-vous Demon dans votre œuvre ?
À la différence de mes précédents livres, Demon n’a pas de vocation purement interactive, comme pouvait l’être par exemple Vanille ou chocolat ?. À la fin, Demon comptera 4 tomes et environ 720 planches et, à ce jour, c’est mon plus long travail. Demon a toutefois des points communs avec mes précédents livres. Il relève du puzzle, des mathématiques et, d’une certaine manière, parle aussi de stratégie. Un condensé du jeu d’échecs en somme.
D’où vous est venue l’idée de cette série ?
Je suis un grand fan des comédies où les corps se métamorphosent, celles des années 1980, comme Vice Versa et 18 Again! avec George Burns. C’est toujours quelque chose qui me parle, le fait d’être une personne, ou un esprit, qui habite un autre corps. J’ai toujours été un peu frustré en regardant ces films, pensant que tout leur potentiel n’avait pas été exploité. À ma manière, j’ai donc tenté d’explorer au maximum tous les tenants et les aboutissants de cette idée : un esprit qui emprunte les corps. Mais, au départ, l’idée a déjà été pensée par d’autres. C’est dans le traitement que je veux être original.
Quelles dimensions avez-vous voulu explorer ?
C’est un hommage aux comics et aux films qui m’ont marqué, notamment les mangas des années 1970 au Japon. Par exemple, j’aime le personnage de Light Yagami dans Death Note, pour son approche très rationnelle. Il détermine à la virgule près ce que son livre peut faire et ne pas faire. En matière de suspense, les romans de Cornell Woolrich ont influencé Demon. J’ai voulu y capter des émotions exaltantes. Le sentiment de vengeance quand un homme est seul face au monde, un monde dans lequel tout peut arriver. Demon est en quelque sorte un collector de twists, tous plus fous les uns que les autres. Je l’espère en tout cas. Le plus fameux d’entre eux étant le personnage lui-même, un fantôme.
Vous avez la réputation d’être un auteur rigoureux, à l’approche cartésienne. Comment avez-vous travaillé pour Demon ?
Au risque de vous surprendre, j’ai aussi une approche très intuitive. Avant de commencer un projet, j’ai une idée très claire de l’ensemble et de l’endroit où je souhaite arriver. J’ai toujours la fin en tête et je commence par elle. Ensuite je remonte le fil de mon histoire. Une manière de travailler que j’ai acquise avec l’expérience. Honnêtement, je ne suis pas un maniaque du détail et, à vrai dire, je suis souvent dur avec mon travail. Je vous livre une petite anecdote : dans Vanille et chocolat ?, il y a un paradoxe temporel. 99% des lecteurs ne l’ont pas vu. À chaque fois que j’y pense, ça me fout en rage…
Quel genre de lecteur aime Demon ?
Difficile à dire. Ma réponse va peut-être vous paraître narcissique mais le lecteur idéal, c’est moi. Parfois je m’imagine perdre la mémoire et me réveiller face au livre en me disant : mais voilà, c’est exactement cet album que je voulais faire ! Mais récemment j’ai eu un retour fort et étrange de la part d’un lecteur qui a pris Demon très au sérieux. En lisant une scène du tome 1, il m’a affirmé que la situation était tout à fait possible. Il s’agit de la scène de la prison et du sperme séché, quand Jimmy veut se faire une pointe en origami et l’enduire de plusieurs couches de sperme jusqu’à obtenir une lame assez résistante pour pouvoir se suicider. Le lecteur a apparemment vraiment essayé ! Heureusement sans succès…
On ne peut s’empêcher de vous demander si vous travaillez déjà sur un autre projet, ici, dans votre résidence d’auteur à Angoulême ?
Oui, il sera similaire à Vanille ou chocolat ? dans la forme même s’il sera dix fois plus long et plus large. L’album présentera deux situations, à partir d’un cube. Un homme se réveille piégé dans un cube. Il existe une porte de sortie dans le plafond, mais trop haute, il ne peut pas l’atteindre. Dans l’autre situation, une jeune femme de 35 ans revient dans sa ville natale après la mort de son père. Elle vit à New York et tente de devenir écrivain. Son livre raconte l’histoire d’un homme piégé dans un cube… Ma BD devrait faire 500 pages et on jouera l’interaction à fond. Les thèmes de la mémoire et de la réalité seront abordés ainsi que le sens de l’existence. Que signifie vivre ? C’est à cette question que j’aimerais répondre, à ma façon. C’est un projet démesuré avec des centaines d’onglets. Il devrait s’intituler The Box et sortira probablement dans deux ou trois ans. Je souhaite bonne chance à mon éditeur !
Propos recueillis par M.Ellis
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Demon #2.
Par Jason Shiga.
Cambourakis, 22 €, mars 2017.
Images Jason Shiga – Cambourakis
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