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Jean Crémers entre trois eaux

14 août 2024 |

photo_jean_cremersEn deux albums, Jean Crémers, 28 ans, s’est imposé comme l’un des plus talentueux de la jeune génération de la bande dessinée belge, aux côtés d’Alix Garin ou Clara Lodewick notamment. Dans Vague de froid, il brodait une fiction largement inspirée d’un voyage avec son frère en Norvège. Dans Le Grand Large, il largue les amarres du réalisme en envoyant deux ados dans une barque sur un océan sans fin, où ils croiseront une vieille douce-dingue et des brigands des mers. Formidable idée de « road-movie » sur l’eau en même temps que métaphore inspirée du passage vertigineux à l’âge adulte, Le Grand Large jouit d’une des introductions les plus originales et réussies qu’on ait lue depuis longtemps. Rencontre avec un auteur avide d’imaginer des histoires, tout en s’inspirant de son propre vécu.

Les premières pages du Grand Large, où des parents hilares lâchent leur fille seule dans une barque, sur l’océan, alors qu’une tempête se prépare, sont glaçantes. Pourquoi ce début, qui ne s’encombre pas de réalisme ?

Je me suis pourtant appuyé sur ma propre histoire familiale ! Nous sommes une fratrie de cinq enfants, tous espacés d’environ deux ans. Je n’ai pas envie de faire des albums seulement pour moi, mais de leur dédier. Si je parlais de mon frère pour Vague de froid, c’est ma soeur aînée qui m’a inspiré Le Grand Large. C’était un peu notre deuxième maman, et quand elle est partie de la maison, un peu poussée dehors, ça a un été choc pour moi. J’ai ressenti un grand manque. Voilà pourquoi le début de ma BD est si brutal.

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Le personnage de Léonie, à la fois généreuse, têtue et émotive, lui ressemble-t-il ?

Je crois que les trois personnages, Léonie, Balthazar et Agathe, forment son caractère à elle…

N’était-ce pas un risque de larguer vos lecteurs dans l’inconnu comme les parents de Léonie la pousse à prendre la mer ?

Pour les parents comme pour les enfants, le moment où les petits prennent leur envol peut être terrible. Par exemple, passer le permis de conduire été la pire expérience de ma vie ! Puis, quand j’ai quitté la maison parentale, j’ai claqué la porte de la voiture et je me suis mis à pleurer. Pendant une semaine de ta vie, tu te mets à détester tes parents de t’avoir mis dans cette galère…. J’ai voulu que chaque lecteur projette sa propre histoire dans mon album, que chacun se fasse son idée de ce monde. Le but est qu’il y ait une lecture à plusieurs niveaux, même si certains éléments plaisent moins à tel ou tel lecteur que d’autres.

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Comment avez-vous imaginé ce paysage du Grand Large, dont on ne saura jamais rien exactement ?

Effectivement, on est dans un « entremonde », on ne sait pas où on est, où on va, où on arrive… Alors que les décors de Vague de froid étaient basés sur des endroits où j’étais passé, que j’avais photographiés, j’ai voulu cette fois quelque chose de très flou. D’où l’absence de décors. Et puis, je pensais que ce serait plus simple et rapide à dessiner… Ce qui ne s’est pas révélé tout à fait vrai, car le ciel est toujours différent, les vagues aussi… J’ai d’ailleurs dû refaire toutes les vagues avant la couleur, car ça n’allait pas. L’eau m’a fait perdre pas mal de temps, finalement !

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Vos dialogues sont très fluides, les avez-vous longuement travaillés ?

J’écris comme je parle, je pense que ça aide à la compréhension. Et puis, je n’écris jamais de voix off, je trouve ça toujours trop lourd : je fais de la bande dessinée, pas de la bande écrite ! Globalement, j’ai écrit et produit Le Grand Large très vite, j’avais besoin de le faire ainsi. D’ailleurs, écrire est la partie de mon travail que je préfère, et je pense que ça me plairait d’écrire pour les autres.

jean-cremers-le-grand-large-attaqueAvez-vous toujours voulu devenir auteur de BD ?

Non, au départ, je voulais apprendre à dessiner pour faire du concept art dans l’animation. J’ai démarré une formation, mais j’ai arrêté au bout d’une semaine car je me suis rendu compte que je ne serais que le maillon d’une chaîne, et ça ne me convenait pas. J’ai poursuivi en bande dessinée à Saint-Luc à Liège, et ça m’a davantage convenu. Mais avant, j’avais toujours dessiné, avec mon grand-père notamment, qui s’était mis à la sculpture puis à la peinture une fois après avoir quitté la métallurgie. Je me souviens encore de l’odeur de papier de son grenier, où il y a avait des squelettes d’animaux…

Quelle sera votre prochaine bande dessinée ?

Je vais boucler ma « trilogie de l’eau » avec un livre inspiré de mes grands-parents, qui ont vécu une importante inondation de leur maison. Ce sera un huis-clos, plus réaliste que Le Grand large, et il sera aussi question de relation toxique… L’album paraîtra au Lombard l’an prochain.

le-grand-large_couvPropos recueillis par Benjamin Roure

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Le Grand Large.
Par Jean Crémers.
Glénat, 24,50 €, janvier 2024.

Images © Jean Crémers/Glénat – Photo © Francesca Mantovani

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