Jeanine ****
Par Matthias Picard. L’Association, 18 €, mai 2011.
Jeanine est née en Algérie et, malgré sa stature chétive, a montré très tôt des dispositions pour la natation. Avec cet atout et une volonté de fer, elle a atteint un bon niveau dans les compétitions, et a également exercé des activités professionnelles classiques, comme placeuse dans un cinéma ou vendeuse de confiseries sur la plage. Comment alors est-elle devenue prostituée, et parmi les plus fameuses de Strasbourg ?
Pour son premier livre, en partie prépublié dans la revue Lapin, Matthias Picard frappe fort. Parce qu’il parle d’un sujet peu abordé en bande dessinée, et surtout parce qu’il en parle de manière sobre, frontale et sans artifice dramatique, évitant tout racolage ou misérabilisme. Il se met ainsi en scène très simplement, interviewant sa voisine prostituée à l’ancienne, qui évoque, tantôt avec plaisir, tantôt avec amertume, ses souvenirs : son enfance algérienne, entre faim et douceur de vivre; ses premières passes, presque par hasard; ses histoires de cul et d’amour avec des type pas toujours aimables; son passage en prison; son engagement social… Autre réussite de l’album : il évite l’ennui inhérent au genre de la BD d’interview, souvent cantonnée à montrer des gens discutant autour d’une table. Non, Matthias Picard a l’intelligence de s’attacher, sans être ostensible, aux détails – dans les gestes, les postures, le décor, les mimiques. Des petites choses qui prennent petit à petit toute leur importance dans le portrait en forme de puzzle de cette femme souriante, mais presque au bout du rouleau et qui semble déformer sa mémoire.
Côté dessin, on est parfois un peu frustré du noir et blanc flottant et hachuré de l’auteur. Mais cette simplicité apparente cache un vrai sens du cadrage et du découpage, toujours au service d’une mise en scène efficace et de la transmission d’émotions. Du beau boulot.
Commentaires