Jeff Lemire et Dustin Nguyen, ingénieux en robotique
Parmi les auteurs les plus demandés de la scène comics actuelle, l’artiste complet Jeff Lemire (Trillium, Essex County, Sweet Tooth, Jack Joseph soudeur sous-marin) et le dessinateur-coloriste Dustin Nguyen (Little Gotham, à droite sur la photo) ont uni leurs forces chez Image pour co-créer Descender, un space opera éblouissant dans lequel s’affrontent enfants droïdes, robots géants et pirates intergalactiques. Rencontrés sans doute un peu tôt un samedi matin de festival d’Angoulême sur le stand de leur éditeur français, Urban Comics, les deux hommes se sont prêtés de bonne grâce au jeu des questions-réponses, mais dans une ambiance ouatée que les cafés ont eu bien du mal à dissiper. Interview petits yeux.
Descender fait drôlement penser à AI de Spielberg. Or au départ, le film devait être réalisé par Stanley Kubrick. Si vous deviez choisir, Jeff, votre coeur irait vers lequel de ces deux réalisateurs ?
Jeff Lemire : Sans hésitation, Kubrick ! Je le préfère largement à Spielberg. D’ailleurs, je n’ai absolument pas pensé à AI au moment de créer Descender. J’ai revu le film récemment et pour tout vous dire, je trouve que ça ne fonctionne pas très bien. En revanche, une de mes sources d’inspiration est l’adaptation du film 2001 de Kubrick qu’avait réalisée Jack Kirby pour Marvel dans les années 1970, et plus particulièrement, un de ses personnages, Machine Man. Et j’ai aussi beaucoup pensé, en écrivant Descender, à Astro Boy et à Pluto.
Êtes-vous tous les deux des fans de manga et d’anime ?
Dustin Nguyen : Moi davantage que Jeff. J’ai grandi dans les années 1990 avec les œuvres de Katsuhiro Otomo, un des quatre ou cinq auteurs de BD les plus influents au monde. Je suis ravi de le voir honoré à Angoulême cette année. Gamin, je regardais également beaucoup les séries d’animation, Robotech ou Silverhawks…
C’était pas américain ça, Silverhawks ?
D.N. : Si si. En gros c’était « Les Cosmocats dans l’espace ».
J.L. : C’est marrant, je me suis refait le générique sur YouTube il n’y a pas longtemps… J’aimais bien cette série moi aussi.
D.N. : Aujourd’hui encore, je continue de lire et de regarder ce qui vient du Japon. One-Punch Man punch est génialement débile. Et je trouve Knights of Sidonia fantastique.
Cette ambiance SF avec des mécas, c’est ce qui vous intéressait en premier lieu dans le projet Descender ? Ou bien était-ce de raconter l’histoire de TIM-21, le petit héros ? Ou encore, l’aspect conte de fées et la relecture du Magicien d’Oz ?
J.L. : Le Magicien d’Oz ? Comment ça ?
Eh bien, ce petit garçon courageux flanqué d’un chien-robot, ce n’était pas un hommage à Dorothy et Toto ? Et Jin Quon, le scientifique qui se fait passer pour ce qu’il n’est pas, n’est pas votre version du Magicien ?
J.L. et D.N. ensemble : Franchement, nous n’y avions jamais pensé. Mais c’est vrai que ça marche pas mal quand on y réfléchit. Foreur, Telsa et Tullis pourraient tout à fait être l’Épouvantail, le Lion et le Bûcheron de fer blanc, pas forcément dans cet ordre-là. C’est totalement inconscient tout ça, en tout cas. On s’en resservira en interview !
Bon, et du coup, qu’est-ce qui est venu en premier à l’écriture ?
J.L. : Le point de départ, ce fut TIM-21, dans sa composante garçon plus que robot. Ce n’est qu’une fois que nous l’avons eu trouvé que nous avons commencé à développer le monde de Descender. Mais moi, c’est ce qui m’excitait le plus dans le projet : bâtir de toutes pièces un univers. J’avais déjà fait ça dans Trillium à l’échelle d’une seule planète. Là, c’est à l’échelle d’une galaxie… Je savais que Dustin aussi avait cette envie de faire du world building et de dessiner des robots et des vaisseaux spatiaux. Il arrivait comme moi en fin de contrat chez DC et je connaissais son souhait de s’essayer au creator-owned [BD d’auteur, par opposition aux contrats des majors].
Dustin, ça n’a pas été trop difficile au départ de travailler avec un scénariste qui est aussi un artiste au style graphique très affirmé ?
D.N. : Non, Jeff est du genre à faire confiance. Il ne noie pas ses scripts sous une abondance de détails, donc je me sens assez libre.
J.L. : J’ai trop de travail à côté pour me permettre d’embêter Dustin sur des broutilles. Et puis je sais qu’il fera des merveilles avec ce que je lui donne. À la base, je suis juste fan de son travail.
Quelle masse de travail demande Descender, avec ce mélange de lavis d’encre et d’aquarelle ? Vous accordez-vous plus de temps sur cette série que lorsque vous travaillez sur un Batman pour DC par exemple ?
D.N. : Je n’avais pas fait beaucoup de creator-owned jusqu’ici, mais c’est le même rythme de parution que chez Marvel ou DC… Je dispose de trois à quatre semaines pour boucler chaque épisode. Cela demande 14 à 16 heures de travail par jour pour arriver à tenir de tels délais.
J.L. : Chez Image, si ta série ne sort pas régulièrement et que tu prends une semaine de retard, les ventes baissent automatiquement. C’est dans ton intérêt en tant que créateur rémunéré au résultat de respecter les deadlines.
Quels sont vos autres projets à tous les deux?
J.L. : En plus de mes engagements chez Marvel [All-New Hawkeye, Extraordinary X-Men, Moon Knight…], j’ai commencé une nouvelle série chez Image qui s’appelle Plutona et qui sortira en France à l’automne je pense. C’est l’histoire d’un groupe de gamins qui découvrent le cadavre d’un super-héros dans les bois. Aussi chez Image, nous venons de lancer, avec Scott Snyder, AD : After Death. Et mon roman graphique Roughneck sortira au printemps en France. Ce sera très différent de tout le reste, davantage dans la veine d’Essex County.
D.N. : Il me reste encore contractuellement quelques illustrations de couverture à rendre pour DC mais sinon, je n’ai clairement pas le temps de faire autre chose à côté de Descender. Nous avons prévu de raconter cette histoire en 40 épisodes, donc nous en avons pour un bout de temps encore. Ces prochaines années, mon programme ce sera essentiellement Descender.
Propos recueillis et traduits par Guillaume Regourd
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Descender #1.
Par Dustin Nguyen et Jeff Lemire.
Urban Comics, 10 €, janvier 2016.
Images © Urban Comics
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