Jérémie Moreau : jeu, set et match
Révélé par Le Singe de Hartlepool, Jérémie Moreau a lâché le cinéma d’animation pour se consacrer entièrement à la bande dessinée. Et c’est tant mieux, car le jeune auteur de 26 ans a publié en janvier l’éblouissant premier tome d’une bande dessinée atypique : Max Winson, ou l’histoire d’un joueur de tennis formaté pour gagner, et qui souffre de n’avoir jamais perdu. Rencontre avec un dessinateur né, véritablement en train d’exploser.
Vous avez démarré votre carrière dans l’animation, avant de bifurquer vers la bande dessinée. Pourquoi ce choix ?
En réalité, la BD me tient à coeur depuis toujours. J’avais 8 ans quand j’ai participé pour la première fois au concours de la bande dessinée scolaire d’Angoulême. Et j’ai réessayé les années suivantes: me contraindre à rendre deux planches chaque année, qui soient toujours meilleures, a structuré mon envie de raconter des histoires. Et cette envie a été confortée quand, à 12 ans, j’ai fait partie de la trentaine de lauréats nationaux du concours.
Mais alors, pourquoi le cinéma d’animation ?
J’avais la sensation que la bande dessinée était quelque chose de solitaire, qu’on pouvait apprendre en autodidacte… J’étais par ailleurs attiré par le savoir-faire mis en oeuvre dans l’animation, symbolisé par des auteurs de BD que j’appréciais et qui venaient de ce monde, comme Juanjo Guarnido (Blacksad) ou Alessandro Barbucci (Sky Doll). Alors je me suis inscrit à l’école des Gobelins. En première année, on assimile énormément de techniques, et l’on perd un peu de vue son style de dessin, pour se couler dans le moule des demandes du dessin animé. Pas facile de se remettre à des choses plus personnelles ensuite..! En sortant de l’école, j’ai logiquement travaillé dans l’animation. J’ai été embauché sur L’Illusionniste, une expérience riche mais très difficile, car Sylvain Chomet est un réalisateur extrêmement exigeant. Puis j’ai travaillé pour le studio Mac Guff, comme character designer [créateur de personnages] sur Le Lorax et Moi moche et méchant 2. Mais à force de dessiner des personnages qui ne devenaient rien car ils n’étaient pas retenus par le réalisateur, l’envie de me remettre à la BD s’est faite plus pressante.
Comment êtes-vous tombé sur le scénario du Singe de Hartlepool ?
Il s’est avéré qu’écrire une histoire et faire de la bande dessinée tout seul était plus compliqué que prévu ! J’ai rencontré Wilfrid Lupano par le biais du dessinateur Jean-Baptiste Andréae et ai évoqué mes envies… Il a ressorti plusieurs histoires qu’il avait sous le coude, me les a fait lire et c’est Le Singe de Hartlepool qui m’a séduit. C’était intéressant pour moi de défricher le terrain de la bande dessinée à travers un récit assez cadré, puisque je me suis imposé de respecter un certain style anglais… La rencontre avec Wilfrid Lupano a été très importante pour moi, c’est lui qui m’a appris à ne pas sur-découper mes planches comme je le faisais au début – un défaut typique des animateurs. Ses conseils me sont toujours précieux, même aujourd’hui où je suis seul sur mes livres.
Puis vient Max Winson.
Même après le succès du Singe de Hartlepool, convaincre mon éditeur avec l’idée d’un livre de 300 pages sur le tennis n’a pas été évident ! J’avais lu pas mal de bouquins sur l’écriture de scénario et j’avais retenu qu’il fallait un « pitch » plein de contradictions. Adorant l’absurde, je suis donc parti sur l’idée d’un homme qui allait tenter de perdre pour la première fois de sa vie, et ainsi retrouver une part d’humanité dans l’erreur.
Pourquoi le sport ? Et le tennis en particulier ?
Le sport vient sans doute de mon côté lecteur de mangas… Les Japonais ont ce talent de rendre n’importe quel sujet épique, même une partie d’échecs ! Pourquoi pas moi? Puis je me souvenais avoir lu une phrase d’un philosophe qui disait que le sport était le seul événement humain à suspense ne nécessitant pas l’intervention de la fiction. J’ai lu aussi les écrits sur le sport de Robert Redeker qui parle de la déferlante de l’idéologie sportive au XXe siècle, de l’emprise et du culte de la performance, et du risque de dé-civilisation qui en découle, les artistes étant relégués au second plan dans un monde où le sport médiatique domine. Ce qui est intéressant aussi, c’est que les entreprises adoptent les mêmes principes, avec des mesures de performance, et tentent de forger des sportifs qui travaillent pour gagner… Pour le tennis, j’avais lu ce livre d’Andre Agassi, où il raconte comment il a été formaté par son père pour devenir un champion, qu’il n’avait jamais perdu un match jusqu’à ses 13-14 ans, mais qu’en fait, s’il aimait gagner, il détestait le tennis en soi !
Pour Max Winson, vous optez pour un style très différent du Singe de Hartlepool.
Pour Le Singe, j’avais adopté un style d’emprunt, pour coller à l’histoire de Wilfrid et à l’univers. Je ne m’y reconnais pas pleinement. J’ai voulu revenir à quelque chose de plus personnel, de plus doux. Et alors que j’avais dessiné Le Singe entièrement à l’ordinateur, j’ai réalisé Max Winson au pinceau, pour revenir à l’outil que j’utilise dans mes carnets.
Pourquoi le noir et blanc ?
Cela vient sans doute de ma référence au manga, et parce que j’avais envie d’aller droit au but, de raconter une histoire qui défile : le noir et blanc me permet un style plus proche de l’écriture. Et je me suis rendu compte que plusieurs de mes coups de coeur de lecteur de BD sont en noir et blanc, comme Lupus de Frederik Peeters, Ibicus de Rabaté, ou Persepolis.
Ce sont vos références pour Max Winson ?
Non, je me suis plutôt inspiré de Winsor McCay, José Muñoz ou Hokusai. Mais mes principales références en termes de dessin aujourd’hui sont Manuele Fior et David Prudhomme.
Quels sont vos projets ?
Le second tome de Max Winson, d’abord. Je dessine pour la première fois avec le stress du temps, car on me propose de plus en plus de choses… Mais je ne laisserai jamais la qualité du dessin ou de la narration baisser ! Je vais donc aussi illustrer Les Voyages de Gulliver pour Je Bouquine. Et pour Rue de Sèvres m’a proposé d’adapter le roman jeunesse Tempête au haras de Christophe Donner.
Propos recueillis par Benjamin Roure
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Max Winson #1.
Par Jérémie Moreau.
Delcourt, 15,95 €, janvier 2014.
Images © Jérémie Moreau/Delcourt – Photo © Vollmer-Lo
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