Juger Pétain
Avec sa couverture d’une rare élégance et son titre incisif – mais forcément puissant – Juger Pétain pose les enjeux. Le récit sera documenté, précis, judiciaire. De la bande dessinée historique en somme, mais avec un grand H, adaptée, fait assez rare, d’un documentaire télévisuel de Philippe Sadaa. Il faut dire que le matériel doit être manipulé avec attention, tant la lourdeur du thème et la force des personnages est explosive. Il y a Pétain lui-même, ses avocats et le procureur, surtout, mais aussi des chroniqueurs judiciaires dont les noms résonnent encore : Joseph Kessel, Albert Camus ou François Mauriac.
Sébastien Vassant s’attaque au procès avec beaucoup de sobriété : reproduction d’interventions, défilés de politiques souvent oubliés de la IIIe République mourante… Mais s’il s’agissait d’une simple illustration tout cela serait d’un intérêt assez relatif. Il y a d’abord la sélection des dizaines d’heures de procès afin d’en garder les morceaux brillants (le plaidoyer de Léon Blum, les roueries de Laval) mais aussi des moments médiocres, qui révèlent autant de la tension de l’époque, des manœuvres en sous-main dans une France sortant à peine de sa réconciliation nationale et ne voulant pas oublier le héros de Verdun.
Au-delà du strict procès, on est admiratif d’une narration qui réussi souvent à situer un contexte souvent obscur en quelques cases. On glisse d’une évolution à l’autre, on revient en arrière, grâce à d’habiles jeux de « mini-récits » dans le récit, aux illustrations souvent plus humoristiques, permettant de respirer entre des interventions au ton forcément daté et un rien ampoulé. Différents extraits d’un faux-journal intime de Pétain ponctuent également la lecture, amusant mais laissant un sentiment étrange par leur côté vraiment trop décalé – peut-être une volonté de l’auteur de s’assurer que personne ne les prendra pour des vrais documents ? En tout cas, si elles sont parfois utiles pour respirer, ces incartades-ci sont moins convaincantes.
Mais, une fois ce doute émis, rappelons qu’il concerne moins de dix pages et que l’ensemble est un livre étonnant d’honnêteté et d’efficacité. Documenté, fluide et porté par un trait vif qui a su laisser place aux personnages, Juger Pétain est une bande dessinée assez rare dont la pertinence doit être saluée.
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