Kim Byung Jin, seigneur de guerre coréen
La vie réserve parfois bien des surprises. En ce dernier jour de Japan Expo, juste avant le début de cet entretien, Kim Byung Jin a eu l’opportunité de rencontrer en privé l’une de ses idoles, Tetsuo Hara (Ken le survivant), passant brièvement du statut d’auteur à celui de lecteur. Durant quelques minutes, le dessinateur coréen de Warlord, fresque héroïque mêlant complots politiques et combats épiques contre des hordes d’orcs, est redevenu un fan parmi des milliers d’autres. Notre interview commence donc de façon inattendue, dans une ambiance particulièrement chargée en émotion…
D’où vous est venue cette passion pour le travail de Tetsuo Hara ?
Ken le survivant a été distribué en Corée au début des années 1990, donc assez tardivement, mais je me souviens encore du choc que j’ai éprouvé en découvrant cette œuvre. Je me suis passionné pour les différents tomes et j’ai recopié énormément de pages pour m’entraîner. C’est un tel souvenir de l’enfance que je ressens encore un mélange de frisson et mon cœur bat à la chamade. Je ne sais pas quoi dire…
Quand vous avez planifié votre venue en France, vous attendiez-vous justement à rencontrer cet auteur?
Je n’étais absolument pas au courant. Lorsqu’un journaliste m’en a parlé au cours d’une interview, ça a été l’emballement total ! Et maintenant, j’en ai oublié toute la fatigue du salon, je me sens pousser des ailes et j’ai même accepté de poser pour des photos. Je vais pouvoir épater plusieurs de mes amis proches ! Et en plus, nous sommes à l’étranger, où je suis beaucoup moins connu qu’en Corée. C’est incroyable !
Pour tous vos titres, vous travaillez avec un scénariste. Pourquoi ce choix ?
Je trouve qu’il y a beaucoup plus d’avantages que d’inconvénients dans cette manière de travailler. Lorsqu’on est tout seul, notre avis est très subjectif, limité par une unique vision de l’histoire. Mais lorsque nous travaillons à deux, trois, voire quatre personnes, comme c’est mon cas, on peut vérifier plus facilement la pertinence du récit ou de l’intrigue. À force d’enchaîner les réunions et de tenter de se convaincre les uns les autres, on arrive à un résultat bien plus abouti. Bien sûr, certains jours, nous n’arrivons pas à nous mettre d’accord. Mais nous sommes des êtres humains. Et je trouve que c’est un petit inconvénient.
Quand vous dites que vous travaillez à quatre, vous parlez de vos éditeurs ou de collaborateurs qui ne sont pas crédités ?
Il y a donc Kim Sung-jae, le scénariste, et nous formons un trio inséparable avec monsieur Park, notre éditeur. Mais je travaille également avec mon épouse, qui est ma plus proche collaboratrice.
Comment fonctionnez-vous avec Kim Sung-jae (Chonchu, Warlord) ?
Il s’agit avant tout d’un travail d’équipe pour la composition de ce que nous appelons la « banque d’idées ». Au cours de cette phase, toutes les idées sont les bienvenues et les discussions sont aussi vives que continues. Ensuite, Kim Sung-jae écrit le scénario et je m’occupe des dessins.
À la fin des années 2000, vous avez travaillé pour Square Enix, un éditeur nippon. Pourquoi?
Ce sont les Japonais qui sont venus me chercher. Comme le projet avait l’air très intéressant, j’ai pensé que ce serait une belle opportunité pour ma carrière. Mais comme dans toute chose, il y a du positif et du négatif… Ceci étant dit, avec le recul, je trouve que ça a été une bonne expérience qui m’a appris pas mal de choses. Jackals reste pour moi un bon souvenir.
Comment s’est organisée cette collaboration ? Vous êtes-vous rendu sur place ?
Je n’ai jamais vécu au Japon – même si j’y ai fait plusieurs voyages –, et je ne parle absolument pas la langue. En fait, lorsque je suis arrivé sur le projet, tout était déjà prêt et je n’ai vraiment eu qu’à m’occuper des dessins, le scénario original étant déjà bouclé. J’ai pu intervenir sur le design des armes, des tenues ou de certains décors. Le Japon a un système de travail qui n’est pas rigide, mais tout de même très codifié. Tout était validé en amont et je n’ai presque rien pu changer.
Quelles sont les différences avec le travail en Corée ?
Je trouve qu’il est plus plaisant de travailler dans mon pays pour plusieurs raisons, la première étant évidemment la langue. Ensuite, je trouve qu’on rigole davantage en Corée, que l’ambiance y est plus détendue. Et en tant qu’auteur, j’ai aussi une plus grande marge de manœuvre dans mon travail. Enfin, mon scénariste fétiche, Kim Sung-jae, est plus qu’un collaborateur puisque nous avons été condisciples lors de notre apprentissage du métier.
Chonchu était une série de longueur moyenne, Jackals assez courte. Quel format préférez-vous ?
En fait, ce n’est pas tant la longueur qui compte que la manière de mettre en valeur un scénario. Je pense d’ailleurs que mon prochain titre, après Warlord, sera assez court et fera moins de cinq tomes.
Et Warlord ?
Probablement dix ou quinze volumes environ.
Dans vos œuvres, on retrouve un certain nombre de récurrences graphiques : des personnages musclés, des tenues classieuses, des armes imposantes et des scènes de combats impressionnantes. Qu’est-ce que vous aimez le plus dessiner ?
Ce que j’adore par-dessus tout, ce sont les scènes de combats les plus sanglantes et les plus spectaculaires possible. Plus le héros souffre et saigne, mieux c’est !
À l’inverse, qu’est-ce qui qui vous donne des sueurs froides avant les dates de rendu ?
Ma réponse sera à peu près la même : ce sont les scènes de combats. Mais celles avec énormément de figurants. Elles sont infernales à dessiner ! Pour le scénariste, c’est très facile d’écrire « il y a 3 000 cavaliers qui avancent », mais après c’est à moi de les dessiner les uns après les autres !!
J’en déduis que vous dessinez encore à l’ancienne ?
Les esquisses sont toujours réalisées à la main, et ensuite je réalise les finitions à l’ordinateur. En revanche, je tiens à préciser que je ne fais jamais de copier-coller.
Y a-t-il un genre, autre que la BD d’action, auquel vous aimeriez vous essayer ?
À l’heure actuelle, Warlord est ma priorité absolue. Je m’interdis donc de penser au futur. Ceci dit, je me verrais bien faire quelque chose de plutôt mignon. Comme des histoires avec des petits chiens. J’adore les petits chiens !
Vous avez fait vos débuts dans un webzine. Que pensez-vous de la BD numérique ? Comment voyez-vous l’avenir de ce mode de diffusion ?
Lorsque j’ai tenté cette expérience, c’était très audacieux, presque un coup de poker. Et évidemment, ça n’a pas marché. Aujourd’hui, dix ans plus tard, ce qu’on appelle en Corée le webtoon est en train de grignoter le marché au point de supplanter l’édition papier. C’est la réalité d’aujourd’hui et je l’accepte.
Remerciements à Kette Amoruso pour la traduction et à l’équipe des éditions Ki-oon.
Images © KIM Byung Jin, KIM Sung Jae, Daewon C.I. Inc. / Ki-oon pour la traduction française
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Warlord.
Par Kim Byun Jin et Kim Sung-jae.
Ki-oon, 7,65€. Série en cours. T5 le 14 novembre 2013.
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