La République du Crâne
Les pirates, figure familière de la littérature, du cinéma, de la bande dessinée. Bandits des mers, tantôt sanguinaires, tantôt au grand coeur, terrorisant les flottes occidentales par appât du gain autant que par rejet de l’autorité, anars des océans prônant une liberté totale, dont la seule alternative serait la mort. Mais, au-delà du fantasme, il y a aussi la réalité historique rappelée dans la préface de ce one-shot, et qui justifie tout son scénario : les pirates étaient avant tout chose des marins, exerçant un métier des plus ingrats, prolétaires les plus durement traités de l’époque. Dès lors, comment réduire ces hommes à de simples brigands sans foi ni loi ?
Voilà l’axe de réflexion de Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat (Le Roy des ribauds, Bloc 109) qui prennent donc la mer pour suivre plusieurs personnages fascinants, incarnant chacun une facette crédible du pirate : un capitaine charismatique mais piètre marin, un bon navigateur peu sûr de son leadership, des seconds fidèles mais vite dépassés par toute stratégie plus grande que leur navire, une ex-esclave africaine avide de vengeance… Alors, bien sûr, l’album offre son lot de batailles navales impressionnantes, de palabres de ponton pleines de tension, de duels rudes et de beuveries cathartiques, séquences portées par un dessin musclé mais qui ne cède jamais à la facilité. Mais l’essentiel est ailleurs, dans la confrontation des projets et ambitions de ces hommes rejetant les fers et le fouet de l’ordre établi : doivent-ils vivre cachés ou lancer une révolution sanglante ? Comment, dans un monde à la modernité galopante, survivre dans les marges sans user de l’ultraviolence ?
Ces réflexions passionnantes sont incluses dans un récit palpitant, intelligemment conté en voix off par le journal d’un des marins, offrant un regard à la fois impliqué et distancié des événements. Et même singulièrement émouvant. On ne s’attendait pas à être touché ainsi par une BD de pirates : c’est donc que La République du Crâne est bien plus qu’une BD de pirates.
Publiez un commentaire