La Solitude du marathonien de la bande dessinée
Mauvaises critiques, séances de dédicaces désertées, moments de gêne en interview, embarras dû aux allergies alimentaires, difficulté à communiquer avec ses détracteurs mais aussi avec ses fans… Dans La Solitude du marathonien de la bande dessinée, Adrian Tomine (Les Intrus, Blonde platine, Loin d’être parfait) prend sa plume autobiographique pour dérouler par le menu les pires moments d’embarras de sa carrière. Avec des scènes édifiantes, comme celle où il se retrouve à écouter ses voisins de table critiquer un de ses livres de façon virulente, ou encore celle où, en visite chez des confrères de la BD, il est confondu avec un réparateur en informatique…
Le métier de dessinateur est souvent solitaire. Mais la solitude, ici, n’est jamais aussi criante que lorsque le héros est face à ses semblables. Même entouré de ses pairs et de ses lecteurs les plus passionnés, impossible de faire fi de cette dissonance entre ses ambitions sociales et la difficulté, voire la cruauté, de se glisser dans les mécanismes conventionnels des relations humaines. Tous ces moments de solitude sont aggravés par son incapacité à communiquer, lesté par une anxiété qui le pousse à anticiper sans cesse les conséquences de ses actes et de ses propos.
Dans Les Intrus, Adrian Tomine magnifiait les fêlures de ses personnages. Ce sont ici les siennes que l’auteur américain d’origine japonaise passe au crible de sa ligne épurée, ou plutôt celles de son ego de dessinateur de BD, qui semble particulièrement chahuté au fil d’une carrière pourtant accomplie. Ces petites humiliations du quotidien (la première étant souvent la mauvaise prononciation de son nom), qu’il avale comme autant de couleuvres, sont aussi celles qui rejaillissent dans son œuvre. On note au passage combien l’annonce de faux lauréats lors de la cérémonie de remise des Fauves d’or d’Angoulême de 2016, dont il faisait partie, a pu marquer celui qui est par ailleurs, le plus souvent à son détriment, régulièrement confondu avec Daniel Clowes.
Ces confidences, partagées de son trait précis et épuré posé sur un papier quadrillé, pourraient créer avec le lecteur une empathie complice qui désamorcerait l’embarras ressenti. C’est tout l’inverse : les mimiques gênées et le découpage du récit, avec ses chutes toujours abruptes, enferment avec lui lecteur dans ces moments de malaise. Ce qui en fait de ce recueil joliment édité sous forme de carnet de bord un travail de catharsis à la fois drôle et cruel, jamais vraiment léger, mais pétri d’honnêteté.
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