L’Âge d’eau #1
Les eaux ont monté, les villes ont été inondées, et la décrue n’a jamais eu lieu. Le monde d’avant n’existe plus que par morceaux, flottant ou à moitié noyés, et les humains tentent de s’organiser. L’État essaie quant à lui de régenter ce qu’il reste à régenter, à la fois pour aider les démunis et réinstaurer un semblant d’autorité. Mais par delà les eaux putrides, des individus ou des familles ont trouvé de nouvelles façons de vivre, de manière isolée ou dans de petites communautés indépendantes. C’est au milieu de ce monde en recomposition que vivent Hans, son frère mutique Gorza et leur chien, dont le pelage vire au bleu et qui est peut-être l’être vivant le plus clairvoyant ici bas…
Après son somptueux Kililana Song ou le très réussi Essence sur un scénario de Fred Bernard, revoilà Benjamin Flao. Pour un album de très très haut niveau. Partant sur une idée dystopique, comme c’est la mode depuis quelques années en bande dessinée (voir Mécanique céleste, Carbone & Silicium, Soon ou le récent De ira), où les eaux auront définitivement envahi nos villes et civilisations surconsommatrices et accros à la bagnole, l’auteur ne décrit pas l’effondrement, mais l’après. La survie, oui, mais aussi l’utopie dans ce nouveau contexte. Avec subtilité, pour brosser l’énergie de l’idéal communautaire en train de naître, qui se confronte à la survivance des institutions anciennes et solides, qui n’ont pas envie d’oublier leur domination passée. Avec inspiration, aussi, en choisissant de narrer l’histoire par les yeux d’un chien bleuté, poète à la truffe sensible et doté de pouvoirs mystérieux, qui commente la nature mouvante et le parfum de la sueur des hommes, comme un oracle clairvoyant mais qui garderait ses visions pour lui. C’est lui qui susurre à l’oreille du lecteur, lors d’interludes étranges, faits de pleines pages nocturnes envoûtantes, permettant de prendre de la distance dans une histoire souvent âpre, où les relations familiales complexes s’entremêlent à une toile de fond politique brûlante. Puis le cabot s’ébroue et le jour reprend, et les hommes s’agitent, sous une plume précise et chaleureuse, d’un réalisme puissant, à l’aise tant dans les décors grandioses que dans les portraits intimes.
Il y a du Pratt, du Baudoin, du Cosey, chez Benjamin Flao. Mais il y a surtout la marque d’un grand auteur en plein possession de ses moyens, tant graphiques que narratifs, qui impose pour ce récit prévu en deux tomes une vision du monde fine et troublante, de celles qui restent en tête longtemps.
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