L’Arabe du futur #2
« Je m’appelle Riad. En 1984, j’avais 6 ans et j’étais toujours un homme éblouissant. » Le petit garçon atypique, né d’une mère bretonne et d’un père syrien, a désormais l’âge d’aller à l’école. C’est dans le village natal de son père, non loin de Homs en Syrie, que la famille s’est installée. C’est l’heure pour Riad de se confronter à l’école syrienne où châtiments corporels et chants patriotiques sont à l’honneur. C’est aussi la découverte de l’écriture et de la lecture de l’arabe, une langue – dont l’auteur a aujourd’hui presque tout oublié – qui émeut par sa beauté le jeune garçon. Les camarades et les cousins sont là : rudes et violents pour certains, drôles et touchants pour les autres.
Après l’immense succès de L’Arabe du futur #1, Fauve d’or 2015 à Angoulême, ce deuxième opus des souvenirs d’enfance de Riad Sattouf était fortement attendu. L’auteur réussit, l’effet de surprise du tome 1 passé, à captiver toujours et encore son lecteur. L’histoire est recentrée sur un lieu, la Syrie d’Hafez Al-Assad et sur un temps, celui d’une année scolaire. Un court passage concerne des vacances en Bretagne et au ski : passage par ailleurs salvateur, qui permet de décentrer le sujet syrien et de prendre de la distance en débusquant aussi les petits travers des Français que croise Riad – comme ce moniteur de ski qui l’appelle sans cesse Ryan. Car cet opus est plus violent dans sa description des rapports sociaux syriens : enfants maltraités, pauvreté manifeste, crimes d’honneur impunis… Le malaise d’un peuple aux inégalités criantes saute aux yeux, leur union semblant juste se manifester au travers de la haine viscérale portée aux Israéliens.
Le père est ici le véritable sujet : un homme perdu dans ses contradictions, avide d’une reconnaissance que le monde syrien ne lui accorde pas toujours. Il est touchant dans ses rêves de gloire mais il est capable de propos pour le moins abominables : ces deux réalités coexistant dans le seul et même regard du petit blondinet de 6 ans, sans jugement.
La force de Riad Sattouf réside dans le fait de ne jamais se départir du regard, à l’innocence de plus en plus interrogative, de l’enfant qu’il était. Pas de longs discours géopolitiques, pas d’explications téléologiques oiseuses. On part toujours d’un souvenir, d’une anecdote. Le dessin est accueillant, réconfortant, toute en ligne claire. On est en terrain connu, un peu comme lorsque le petit Riad lit et relit ses albums de Tintin et c’est un véritable plaisir pour l’œil de retrouver le trait rond de Sattouf. S’ajoute à cela la réflexion, toujours mise à l’épreuve, car rien est gratuit, tout est montré, comme cela est revenu à l’auteur, comme il s’en souvient. Au lecteur d’interpréter, de se faire une opinion, de penser. De l’éblouissement devant les ruines de Palmyre à la disparition énigmatique d’un petit camarade, cette photographie en kaléidoscope de la Syrie d’il y a 30 ans est à la fois simple et riche, crue et pudique. Un vrai moment d’intelligence.
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Très bien fait, ce livre! A la fois, instructif (la Syrie n’est pas vraiment une destination touristique, il n’y avait ni Club Med, ni résidence Marmara ou Pierre et Vacances, même avant le début de la guerre), drôle et émouvant. On est loin des grosses déconnades de Pascal Brutal parues dans Fluide Glacial, le mensuel qui n’a pas froid aux yeux.
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