L’Artiste à mi-temps
On entre dans le lycée professionnel Briand en suivant les pas de Timothée Ostermann, jusqu’au CDI (Centre de documentation et d’information), sous l’œil peu avenant de corbeaux, ces oiseaux de mauvais augure. Si l’auteur de cet album est avant tout artiste, il faut bien vivre : il a donc accepté un poste d’assistant pédagogique dans cet établissement situé en Moselle (ville la plus connue : Metz).
Timothée raconte son expérience avec un regard attendri, étonné, parfois désabusé, auprès de ces adolescent·es en difficulté scolaire, souvent sociale aussi… Les prénoms des élèves sont un indicateur, tout comme leur langage fleuri et leurs perspectives d’avenir. Leur venue au CDI est toujours un événement : ils et elles viennent parfois en solo, mais le plus souvent, c’est pour travailler sur un sujet en groupe, comme les « 3es pro » en prépa-métiers, qui viennent réfléchir à leur orientation (CAP ou bac professionnel).
La galerie des personnages est trop incroyable pour n’être pas inspirée de vraies personnes, dissimulées sous une bonne couche de caricature pour qu’on puisse en rire sans retenue. Il y a « la Taupe » », ce garçon mutique aux verres épais qui s’installe toujours sur le même ordinateur, dans un coin. Ou encore cette fille non-voyante à fond dans les théories complotistes (« Peut-on être aveugle et raciste ? », se demande l’assistant pédagogique quelque peu dérouté), sans parler de Murat, cet élève sympa mais collant comme un chewing-gum, qui se prend pour un membre à part entière de l’équipe du CDI.
Une autofiction où l’auteur se met en scène avec auto-dérision. Sa peau et ses cheveux sont blancs comme un fantôme : il explique aux ados pourquoi il se dessine ainsi : « Parce que je me sens la plupart du temps complètement inadapté. Au monde du travail en particulier. »
Le dessin de Timothée Ostermann est ici dans un style un peu cartoon, caricatural, avec des trames de pointillés, des couleurs franches tout en contrastes… Les séquences de travail des élèves sont traitées différemment, sous la forme de strips monochromes. Ce choix graphique résolument moderne permet de dédramatiser le fond, lequel – si on prend le temps d’y réfléchir – est un constat assez triste de fragilité sociale, de difficulté d’insertion dans une société formatée et élitiste, où les « cassos » ou les artistes peinent à trouver leur place.
Cet album drôle et touchant pointe ce que l’Éducation nationale ne fait pas : réduire les inégalités sociales. Il s’achève pourtant sur une note d’espoir, qui s’échappe à tire-d’aile, comme un corbeau.
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