Le Chemisier
Séverine est une étudiante brillante, travailleuse, un peu trop sérieuse sans doute. Son mec, lui, est un gentil geek pas vraiment intéressé par elle, mais ils vivent une routine de soirées pizzas entre potes et de visionnage de série télé pas désagréable, mais pas folichonne non plus. Un soir qu’elle garde la fille de ses employeurs habituels – un couple de quadras en crise –, la petite lui vomit dessus. On lui prête alors un chemisier, élégant, féminin, classe. Sa vie bascule. Car le chemisier du titre change d’un coup le regard des autres sur elle. Des hommes surtout. Prof, employeur, type croisé par hasard. Avec cette pièce de soie, Séverine se sent sûre d’elle, attirante, plus mûre. Prête à repousser ses limites de petite fille trop sage, pour se sentir vivre, se sentir adulte, et se trouver elle-même.
De ce pitch, on pourrait croire à une histoire fantastique, clin d’oeil aux comics de super-héros où une tenue magique donne des pouvoirs surnaturels à son possesseur. Mais non, ici, le chemisier n’est qu’un objet transitionnel, celui de la féminité qui gagne peu à peu l’héroïne. Qui libère Séverine de son carcan de gentille jeune fille sans éclat. On est donc bien chez Bastien Vivès, qui tourne autour de ce sujet (l’adolescence, le passage à l’âge adulte) depuis des années déjà, avec de belles réussites, telles Polina ou le récent Une soeur. Dans Le Chemisier, on est toujours bluffé par son aisance dans la mise en scène : texte parcimonieux, découpage précis, cadrage jamais gratuit, Bastien Vivès maîtrise la grammaire de la BD sur le bout des doigts et son récit se dévore donc sans forcer. Toutefois, c’est davantage dans le scénario qu’il déçoit ici. La dérive de Séverine est aussi peu crédible que ce chemisier magique, et surtout elle n’aboutit à rien. À certains moments, l’auteur réussit à saisir avec talent la réalité de la vie des jeunes urbains d’aujourd’hui, mais il semble à la longue un peu perdu avec son héroïne, enchaînant les scènes de sexe de manière assez vaine. Les personnages secondaires – le copain, le père de famille, le flic – disparaissent derrière cette figure trop présente et en même temps bien creuse, et ne sont pas plus crédibles. Au final, l’album s’en sort grâce à sa fluidité narrative servie par un dessin qui va vers toujours plus de sobriété. Mais il ne laisse pas grand chose derrière lui, en termes d’émotion ou de réflexion.
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