Elles sont érotisées, moquées, tripotées : à force de mauvais traitements, les statues et autres nus féminins présentés au Musée du Louvre atteignent le point de non-retour. Pour s’affranchir de cet envahissant « male gaze » qui les poursuit depuis trop longtemps, elles décident de se rebeller, et, petit à petit, deviennent transparentes. Jusqu’à complète disparition. 

Si le point de départ du Grand incident semble pour le moins incongru, on achète sans peine cette fable de science-fiction féministe, où Zelba explore avec humour et panache les conséquences d’un tel événement : réunions de crise à la direction du musée, unes de journaux alarmistes, mécanismes de prises de décision confus (avec des dialogues parfois tristement crédibles), et ce choix audacieux de demander aux hommes de bien vouloir visiter les lieux en tenue d’Adam…

Au milieu de la zizanie, chaque personnage vit sa propre introspection face à ce phénomène inattendu. Ceux-ci font le sel de ce drame muséal : l’attachante femme de ménage qui parle aux statues, le flegmatique gardien de salles qui étudie la sociologie et, bien sûr, le binôme fraternel qui gère musée, au prix d’un subterfuge que nous ne dévoilerons pas. Ils sont portés par le trait sûr et dynamique de l’autrice, qui explique dans la postface avoir honoré la demande de son éditeur de faire du « tradi », du dessin traditionnel. Son choix de l’encre noire et de l’aquarelle utilisés en ligne claire met en avant sa maîtrise du dessin anatomique, dont elle sait aussi se détacher pour donner à ses personnages leur caractère croquignolet. Le Louvre, lui, est à la fois traité comme un théâtre et un personnage : son architecture et ses œuvres parsèment chaque recoin de l’album avec un joli soin du détail, même si les discussions entre les statues elles-mêmes ne constituent pas le point le plus captivant de l’intrigue. 

À la fois loufoque et malin, crédible jusqu’à un certain point, Le Grand Incident livre une réflexion décalée sur l’art et le féminisme au prix, peut-être, d’un peu beaucoup d’optimisme. C’est sans doute le carburant nécessaire pour questionner le patriarcat de façon si joyeuse.