Le gros pari d’Ant éditions pour mieux rémunérer les auteurs
Chargé de développement dans la vie associative, et animateur du site Bulle d’encre Anthony Roux, alias Anton, a fondé Ant éditions avec pour ambition de mieux rémunérer les auteurs de bande dessinée. Son idée : payer les auteurs à chaque planche créée, puis leur verser des droits d’auteur dès le premier exemplaire vendu. Et donc, ne pas appliquer le système de l’avance sur droits, en cours dans la plupart des autres maisons, dans lequel l’auteur touche une somme au départ et ne touchera des droits sur les ventes qu’une fois cette somme « récupérée » par l’éditeur. Comment compte-t-il faire pour financer un tel système ? Anton s’en explique à BoDoï.
Quelle est l’idée à la base d’Ant éditions ?
Cela faisait quelques temps que j’envisageais de me lancer, mais en travaillant plus concrètement sur le projet de créer une maison d’édition, je me suis heurté au problème de la diffusion, c’est-à-dire le placement des livres en librairies, qui est très coûteux. Soit je devais augmenter nettement le prix de mes BD, soit je devais me passer d’un diffuseur dans un premier temps. La première solution me semblait mauvaise, j’ai choisi la seconde.
S’auto-éditer et s’auto-diffuser, c’est assez courant quand on démarre. Mais vous avez eu envie d’aller plus loin dans l’exploration d’un autre modèle de financement.
Je voulais sortir du système de l’avance sur droits qui fait que l’auteur touche une somme pour la création qui est calculée sur un hypothétique nombre d’albums vendus, avec l’espoir de toucher des droits supplémentaires si les ventes du livre dépassent les espérances. Et ces avances ont tendance à baisser ces dernières années. À mon sens, ce système va dans le mur. Pour moi, les auteurs doivent être mieux rémunérés et sortir d’une situation précaire. Je leur propose alors d’être rémunérés à la planche produite, puis de toucher des droits dès le premier album vendu. Et le pourcentage de droits pourra augmenter une fois l’album rentabilisé.
Imposez-vous le tarif à la planche ?
Non, il est discuté avec l’auteur. Mais quand j’ai commencé à me renseigner, certains auteurs m’ont dit qu’ils travaillaient pour l’équivalent de 50 € la planche..! Pour moi, ce serait une escroquerie de pratiquer ces tarifs ! Pour le premier livre qu’Ant éditions va sortir, Nicolas Otero m’a proposé un tarif que j’ai validé. Et je veux souligner que la coloriste est aussi rémunérée à la planche, en tant qu’auteure à part entière.
Cela demande de mobiliser un gros montant avant même toute commercialisation.
Oui, mais je me lance car je sais que j’ai les fonds, personnels, nécessaires pour produire le premier livre. Et je rogne beaucoup ma propre rémunération de scénariste sur cet album.
Quel est l’objectif de vente pour ne pas laisser trop de plumes dans l’aventure ?
À partir de 6000 exemplaires vendus, l’opération sera rentable et les auteurs verront leurs droits augmenter.
6000 exemplaires, aujourd’hui, c’est déjà un beau chiffre. Comment comptez-vous y arriver alors que vous ne serez même pas en librairie ?
Je suis bien conscient du défi que cela constitue, mais je veux vous rassurer : ce n’est pas parce que le livre n’atteint pas les 6000 exemplaires vendus la première année que je ne lancerai pas d’autres projets. Car j’accompagnerai toujours mes livres sur la durée. Je vais d’abord miser sur les préventes via notre page Tipeee, prendre mon bâton de pèlerin pour montrer mon projet aux libraires voire aux grandes surfaces, et pourquoi pas aussi prendre un stand dans des salons BD.
Le financement participatif a montré qu’il pouvait être un levier intéressant pour certains projets.
Oui, c’est vrai. Mais attention, quand Laurel ou Maliki s’auto-éditent et cartonnent par ce biais, il faut bien comprendre que c’est l’aboutissement de quinze ans de travail sur un blog et dans l’édition. Après, si c’est pour financer un livre grâce à des lecteurs-internautes pour qu’il fasse un bide en librairies et qu’on doive tout envoyer au pilon, ça ne m’intéresse pas.
Quels ont été les retours des auteurs face à votre projet ?
Très contrastés. Certains auteurs ont été immédiatement enthousiastes, espérant que cette pratique se généralise. D’ailleurs, j’ai reçu pas mal de propositions, que j’ai déclinées pour le moment car je souhaite me concentrer sur le premier titre de la maison. D’autres auteurs m’ont paru plus circonspects et craintifs quant à la pérennité du projet. Je les comprends, c’est une crainte que je partage !
Quand sortira votre premier livre ?
En 2019. Il s’intitulera R.I.P. – une histoire mortelle : c’est une succession d’anecdotes historiques en une planche, sur des morts de personnalité dans des circonstances étonnantes.
Plus d’infos sur le site d’Ant éditions et sur sa page Tipeee.
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