Le Lait noir
Après le poétique Géante et le très freudien Avant mon père était un enfant, la talentueuse Fanny Michaëlis revient avec une histoire familiale filtrée par une esthétique déroutante, où le crayon mime la douceur pour exprimer une violence sans limite. Soit l’histoire de Peter – son grand-père né au milieu des années 1920 dans une famille juive de Berlin – qui doit s’exiler à 17 ans et rejoindre ses frères dans le Sud. Car, lui souffle sa mère, « qui sait ce que deviennent ceux que l’on voit quitter, en rang, les villes et les campagnes, encadrés par des soldats »… L’argent cousu dans la doublure de sa manche, le voilà parti sur les routes de l’exil…
Mais, comme le souligne l’éditeur, Le Lait noir « ne se réduit pas à un exercice de mémoire ou à un récit familial ». Il s’agit plutôt d’évoquer un passé réactivé à la lumière des témoignages, souvenirs et anecdotes, matière même d’un récit à mi-chemin entre fantasmagorie et réalisme. Car l’auteure brouille les frontières ou les éclate – pas de case, pas de phylactère, dessin souligné par la blancheur de la page – floute les séquences avec force symboles pour mieux immerger dans un souvenir vague pourtant présent à l’esprit. La violence des hommes s’image alors dans la raideur anguleuse des conifères, aux épines acérées comme des épées, quand la rondeur des corps et des formes tente en vain de neutraliser l’indicible et la funeste barbarie.
Oscillant entre symbolisme et réalisme, Fanny Michaëlis reformule et nourrit son imaginaire au contact de son histoire personnelle dans une œuvre suggestive, inquiétante et troublante, aux atours fantastiques. Les mots, pudiques, brisent à peine le silence, pour mieux exprimer toute la cruauté qu’on peine encore à objectiver. Livre cathartique ou anamnèse personnelle, qu’importe, Fanny Michaëlis laisse s’exprimer ici tout son talent graphique dans une œuvre sensible et délicate qui ne ressemble qu’à elle.
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