Le Ministre et la Joconde
1962. La France mue, se décolonise, et compte sur De Gaulle pour affirmer sa grandeur. Qui accepte de confier à son médiatique ministre de la Culture, André Malraux, le soin d’accompagner un fleuron du patrimoine national aux États-Unis à des fins d’exposition (et de diplomatie) : la Joconde. Voilà donc le fougueux Malraux qui embarque sur une autre fierté hexagonale, le paquebot France, en compagnie de pas mal de beau monde, destination New York. Hélas, l’homme est stressé, instable, égocentrique et mythomane (entre autres), et la traversée de l’Atlantique ne va pas se dérouler comme prévu. Ni pour lui, ni pour le tableau de Léonard de Vinci…
Fasciné par certaines grandes figures de la Ve République, Hervé Bourhis (Retour à Liverpool, Le Labo, Animal social club, Le Teckel…) et Franck Bourgeron (Stalingrad Khronika) ont choisi le personnage de Malraux pour incarner une comédie hystérico-politique étonnante. Excellent choix, tant l’auteur de La Condition humaine, globe-trotter, Prix Goncourt, séducteur et ami des puissants, porte en lui une dimension « bigger than life » unique. Insaisissable, enjôleur, amateur des psychotropes et autres substances excitantes, et surtout enivré par la stature politique que lui confère son statut de « ministre d’État » (qu’il ne manque jamais de rappeler), Malraux est un personnage fascinant, qui porte à lui seul ce huis-clos maritime improbable que n’auraient pas renié Blake Edwards et Peter Sellers (The Party). À côté, les autres personnages, pourtant croustillants, font un peu pâle figure, et c’est peut-être ce qu’on pourra reprocher à cet album : l’histoire tourne un peu en rond et les références nombreuses aux années 1960 ou à la carrière de son héros ne suffisent pas toujours à combler l’absence de péripéties.
Ce scénario où il ne se passe pas grand-chose fait évidemment penser aux Bijoux de la Castafiore, fameux exercice de style hergéen, dont on perçoit forcément les réminiscences dans le dessin d’Hervé Tanquerelle : moins marqué que pour son Groenland Vertigo, l’hommage à Tintin est néanmoins tout à fait assumé, mais s’ouvre sur une ligne claire moins classique, plus vibrante et singulière, voire délicieusement bizarre, idéalement illuminée par les couleurs d’Isabelle Merlet.
Alors, si on reste un poil sur notre faim, cet album – au parti-pris artistique convaincant et au design tout à fait soigné – demeure un très agréable et intelligent moment de lecture.
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