Le Pouvoir de la satire
En janvier 2015, la France est saisie de stupeur devant le massacre perpétré dans la salle de rédaction de Charlie Hebdo. Les commentateurs égrainent les noms des victimes : nous sommes horrifiés. Quatre jours plus tard, le pays se dresse derrière une phrase, celle du ralliement presque unanime, « Je suis Charlie ». En ces moments de tristesse, de deuil collectif, de colère aussi, des questions jaillissent : peut-on rire de tout ?, doit-on se fixer des limites ? Des interrogations centrales dans notre démocratie plaçant en son centre la liberté d’expression. Cet album tente d’apporter des réponses.
Fabrice Erre, enseignant, historien mais aussi auteur de BD – Démonax, Le Roux, La mécanique de l’angoisse, Z comme Don Diego, Une année au lycée… – propose de contextualiser, dans une perspective longue, l’histoire de la satire, notamment en partant d’un moment fondateur : la Révolution française. L’idée maîtresse montre que l’évolution de la satire, de la caricature, est concomitante à l’évolution de la démocratie en France, et à l’enracinement des valeurs républicaines. Cet ouvrage mis en dessins par Terreur Graphique – dont on retrouve le trait rond qui remplit les pages de l’Écho des savanes ou de Fluide glacial – est aussi un manuel pour comprendre Charlie, pour se hisser un peu plus haut dans les débats, souvent basiques, sur la presse satirique : pourquoi le rire est-il une arme ? pourquoi la caricature désacralise ? pourquoi recourir à la grossièreté ? Deux personnages, certainement les auteurs, constituent le fil rouge de cette BD et se font les transmetteurs de nos questions.
D’abord publiés dans La Revue dessinée, ces cases font aujourd’hui l’objet d’un album chez Dargaud. Le pari est assez ambitieux et plutôt réussi dans le propos : en 70 pages, les auteurs dressent un panorama historique de la presse satirique tout en répondant aux questions philosophiques et éthiques inhérentes au sujet. Chapitré par thèmes – le sacré, la violence, la grossièreté… – l’album évite l’approche chronologique, c’est un bien. Dommage toutefois que le piège du didactisme, évité dans la narration, se retrouve dans le dessin. Une fois passé l’attirance pour le trait de Terreur graphique, coloré, naïf et forcément contrastant avec des thèmes plus crus, on tourne en rond avec une BD bavarde, basée sur des dialogues entre les deux « héros » et distillant l’ennui, alors même que le propos est passionnant.
Si Le Pouvoir de la satire est un ouvrage solide sur le fond, il tombe dans les travers souvent remarqués de la BD documentaire : une mise en scène guère plus excitante qu’une mauvaise conférence universitaire.
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