Le Regard et le dessin
Voilà une bande dessinée comme on n’en rencontre pas si souvent. Déjà, il s’agit d’un essai en bande dessinée. Lorène Gaydon nous présente ici sa vision du dessin, comment il s’apprend, comment il se théorise. De plus, les ouvrages dédiés à ce genre de discours ont bien souvent le défaut de la froideur et de la distance. Le Regard et le dessin de Lorène Gaydon a cette ambition admirable d’expliquer son art par l’art et, dans le même temps, de parvenir à se départir du pompeux et du condescendant pour se mettre à la même hauteur que le novice.
On ne va pas se le cacher plus longtemps : oui, on pense beaucoup au célébrissime L’Art Invisible, la fameuse BD qui explique la BD. Ces saintes écritures sont d’ailleurs citées très rapidement dans le livre de Lorène Gaydon pour à la fois rendre à César McCloud ce qui lui appartient, mais aussi pour dire que si l’autrice est consciente de ce haut patronage, elle souhaite aussi suivre sa propre voie. Et c’est d’ailleurs ce qu’elle fait. D’une part, le sujet en est assez éloigné. La BD n’est pas du tout au cœur du propos du livre, celui-ci se concentrant sur le dessin en lui-même. D’autre part, la subjectivité assumée et le parti pris autobiographique choisis par la Parisienne offrent à ce livre un ton et une approche toute singulière.
Le Regard et le dessin suit en effet les virages empruntés par Lorène Gaydon dans ses apprentissages, ses lectures ou ses observations. Ce n’est pas une méthode, mais bien plutôt un récit initiatique au sens quasi littéral du terme. L’autrice ne délivre pas ici des leçons, mais bien plutôt des indices – ainsi que sont nommés les chapitres –, des petits cailloux qu’elle a trouvé au cours de sa propre quête d’un dessin abouti. On y croise ses professeurs, l’écrivain R.L. Stevenson, David Hockney, ses collègues d’ateliers, des étudiants, Pablo Picasso, Claude Ponti et des jeunes artistes qu’elle admire. Grâce à une vraie science de la narration séquentielle et un découpage aussi divers que malin, Lorène Gaydon parvient à tricoter cette multitude de mailles qui ont fait la dessinatrice qu’elle est aujourd’hui. Ce qui aurait pu finir comme un marécage illisible de références et de réflexions éparses file ici à la manière d’un cours d’eau limpide.
Peut-être ce trop grand souci d’accessibilité est-il son plus grand défaut. Le livre, s’il prend le pli de la subjectivité, n’en exploite pas les aspects les plus croustillants. En résulte un manque d’aspérité dommageable, que ce soit dans le dessin ou dans le texte, qui peut parfois faire glisser notre attention et laisser l’esprit s’embarquer ailleurs. Néanmoins, de la gageure du projet de départ, Lorène Gaydon en tire un essai solide et original, qui parvient à mélanger habilement les conseils basiques et les réflexions plus profondes. C’était osé, c’est plutôt réussi et ça pourrait bien tirer quelques épines du pied de nombreux apprentis.
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