Le Vol d’Hermès
Ça vous dit, une petite (une grande !) leçon de BD par François Ayroles (Les Plumes, Une affaire de caractères) ? Il existe des auteurs à qui suffit une bonne idée de départ et une imagination hors-normes pour vous faire une excellente BD, dans le style le plus risqué qui soit : le muet. Cette histoire a été réalisée d’après Un détail (bronze, 318 ht x 204 x 80 cm, 2019) de l’artiste Benoît Maire, sculpture installée dans le cadre du 1% artistique de la Méca (Maison de l’économie créative et de la culture en Nouvelle-Aquitaine, à Bordeaux). On y voit une demi-tête d’Hermès, un profil, qui est le point de départ de ce récit. Est-ce à dire que c’est au lecteur de compléter, de trouver l’autre moitié par sa lecture ? Peut-être, mais rien n’est sûr.
François Ayroles, en bon amateur d’expérimentations, interroge une nouvelle fois le médium, son potentiel et ses limites (sans limites ?) à travers cette fantaisie ultra lisible mais pleine de mystères Un objet unique puisque l’on a l’impression tenace que cette histoire n’aurait pu être racontée autrement ou aussi bien avec un autre médium. Vous le savez mais petit rappel : Hermès, chaussé de sandales ailées, est le messager des dieux chez les Grecs anciens. Messager, oui, capable de s’élever et de se déplacer rapidement. Mais aussi, dans une symbolique utilitaire, le protecteur des voleurs. Une piste pour lire ce formidable voyage où l’on nous invite à interpréter le déplacement, de mains en mains, d’une petite valise noire.
Relais, passeurs, paysages mouvants, intentions floues ou pas, tout invite à « l’herméneutique » (l’art d’interpréter, qui vient donc du mot Hermès, rappelé en postface). Jeu sur les formes, les vides et les pleins, art de la symétrie, on retrouve le charme des BD de François Ayroles. Jamais démonstratif et sans esbroufe, juste le talent. Dans une interaction parfaite entre le lecteur et l’histoire, on navigue à vue avec délice, soufflé par la force de frappe faussement minimaliste, la simplicité et la fluidité du récit, qu’on relit bien sûr avec toujours plus d’intérêt. Récit court truffé de détails – seize pages à l’encre de Chine pour 6 petits euros – il faudra au lecteur un peu d’attention pour lier et articuler les images, inventer le texte. On ne vous en dit pas plus. C’est un coup de maître et ça se passe de mots.
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