Leiji Matsumoto, le dernier des Trois Mousquetaires du manga !
75 ans, 60 ans de carrière ! Leiji Matsumoto, mangaka papa d’Albator, est un des invités d’honneur du 40e Festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Avant de rejoindre les bords de la Charente, il s’est arrêté à Paris, pour une conférence publique. Quand il parle, telle une épée en main, il vous pointe du doigt, et ressasse le même discours humaniste depuis son adolescence. Un discours toujours d’actualité pour le dernier du trio (avec Tezuka et Ishinomori) qui révolutionna l’art du manga et de l’animation nippone de la seconde moitié du XXe siècle.
Albator (Captain Harlock en VO), Galaxy Express 999, et autres Space Battleship Yamato… Voilà une oeuvre qui fait de Leiji Matsumoto un invité de choix pour le Festival d’Angoulême ! Avant de partir pour la ville fortifiée, celui-ci a fait un détour le 29 janvier 2013 (4 jours après son anniversaire) par La Maison de la Culture du Japon à Paris, pour une longue conférence de deux heures. Un public nombreux, largement composé de vieux briscards et autres fanboys nostalgiques des années 1980, est présent. Et là se pose le dilemme de tout journaliste devant un invité nippon.
Car un mangaka qui se déplace, c’est rare, et quand la France à la chance d’en recevoir un, toute la presse spécialisée se précipite pour assister à une conférence qui sera retranscrite maintes fois, quasiment à l’identique, dans tous les médias possibles et publiables. Et BoDoï n’échappe par à la règle. Ainsi, pour éviter ce clonage de masse, nous avons choisi plutôt de vous retranscrire les impressions et autres morceaux choisis du rédacteur ayant eu l’opportunité d’être présent à l’événement.
Il y a des auteurs moralisateurs, de ceux qui vous donnent des leçons sur la vie sans avoir jamais reçu des coups soi-même. Leiji Matsumoto n’est pas de ceux-là. Enfant bagarreur, il a connu la misère et une couverture de lit composée… de journaux empilés. Il habitait près de voies de chemin de fer parcourues par des locomotives à vapeur. Ces dernières l’inspireront plus tard pour l’un de ses classiques à venir : Galaxy Express 999. Pourquoi 999 ? Parce que 1000 est un chiffre parfait. 999, c’est l’étape avant l’achèvement d’un être humain, à l’image de Tetsuro, le héros en quête de veine immortalité à bord de ce train qui lui fera découvrir nombres de contrées exotiques.
Et ça tombe bien, Leiji est, comme Tetsuro, en vadrouille. Peut-être influencé en cela par un père aviateur, formé par un officier… français ! Il parcourt le monde, conduit en état d’ébriété une voiture au Kenya, découvre l’Amazonie qui lui inspire les célèbres Sylvidres, les guerrières amazones que combat Albator. Il réussit même à croiser le célèbre créateur de Barbarella, Jean-Claude Forest, avec qui il partage son amour pour les femmes aux longues chevelures, aussi graciles que des roseaux, mais aussi fortes que le chêne !
Mais pas besoin de parcourir le monde pour trouver des potes avec qui s’entendre et, au passage, révolutionner tout un pan de l’industrie de la pop culture planétaire. Avec Osamu Tezuka et Shotaro Ishinomori (Cyborg 009), Leiji Matsumoto est le dernier survivant d’un dynamique trio. Mais point de nostalgie pour cet homme hyperactif et en phase avec son temps. Féru de nouvelles technologies et guettant les derniers progrès de la 3D relief sans lunettes, il peaufine actuellement son dernier né cinématographique : un film en images de synthèse mettant en scène Albator ! Les images exclusives et inédites projetées lors de la conférence mettent toute l’assistance d’accord : prévu pour une projection à Cannes 2013, le film annonce une belle claque visuelle, bien supérieure aux premières bandes annonces diffusée à ce jour sur le net. Leiji Matsumoto n’a pas cependant précisé, malgré l’insistance du pigiste bodoien présent, si les fameuses Sylvidres seraient de la fête. Celles-ci n’ayant plus montré leurs jolis minois depuis… 1978 ! Et ce, malgré les nombreuses adaptations mangas et animées du pirate de l’espace qui ont suivi. Mais le malicieux septuagénaire à laissé planer le doute quant à une éventuelle « surprise » à venir à ce propos (dixit une traduction approximative ayant handicapé une bonne partie de la conférence)…
Mais au fait, quel drôle de nom qu’Harlock ! Là encore il faut remonter loin dans l’enfance de l’auteur pour s’apercevoir qu’il ‘agit simplement d’un mot crée par l’intéressé pour se donner du courage et un rythme de marche de retour de l’école. Leiji aurait-il donc tout inventé en puisant dans son passé tumultueux de baroudeur ? Si Paul Grimault a influencé Hayao Miyazaki, le film Marianne de ma jeunesse a largement traumatisé l’adolescent de 17 ans qu’était Leiji. Il s’agit d’un film français de Julien Duvivier de 1955, onirique et surréaliste, totalement oublié de la mémoire populaire de notre pays. Leiji Matsumoto nous présente alors un extrait de ce film: le choc est palpable, sous nos yeux défilent toutes les références esthétiques qui feront d’Albator et de Galaxy Express 999 des chefs d’œuvre intemporels. Preuve en est qu’encore une fois, le cinéma populaire français de l’après-guerre a joué un rôle déterminant dans la pop culture nippone, qui elle-même influence aujourd’hui la pop culture mondiale. Et nous, dans tout ça ? Avons-nous su profiter, aussi pleinement, de cet héritage ? Les cinéphiles français peuvent en débattre encore et encore…
Finalement, avant d’être un incroyable créateur de mondes de science-fiction, Leiji Matsumoto est surtout un humaniste, un dénonciateur de la bêtise humaine. Quasi apatride, on lui demande dans les années 1970 de ressusciter le temps d’un dessin animé, le légendaire cuirassé de la guerre du Pacifique, le Yamato. Il le transforme en vaisseau d’exploration partant aux confins de la galaxie. Donc, pas d’arrières-pensées guerrières ni mêmes politiques pour Space Battleship Yamato, considérée comme le Star Trek nippon ! Le voyage spatial : la seule expérience de vie que regrette encore l’auteur de ne pas avoir vécue. Qu’importe, son combat est sur Terre. Depuis son adolescence et les problèmes d’hygiène liée à sa pauvre condition, il veut partager ses tourments avec ses collègues étudiants connaissant les mêmes errements. Il réalise qu’il peut alors aider les autres à travers ses premiers récits, parfois acerbes, souvent drôles, toujours dénonciateurs. Le message de Leij est simple : « Vivez libres, mais vivez responsables. » Il termine sa conférence en montrant une photo agrandie de Venus, dévoilant un paysage abstrait d’apocalypse, et nous annonce que cette image pourrait être le futur de la Terre si l’on continue de « perdre son temps à se faire la guerre ». Un paysage de cauchemar qu’il dessina selon ses dires en tout début de carrière. La coïncidence lui semble bien grosse, mais il prend cela comme un signe annonciateur, quasi prophétique.
Que peut-on reprocher alors à un tel bonhomme ? La légende serait-elle aussi belle qu’on le dit ? Certes, il lui arrive rarement de terminer ses histoires, ce que les adaptations en animation font à sa place. Mais à cela il rétorque : « Quand je sentirais la fin venir, je dessinerais mes fins. » Là encore, il pointe son doigt vers le public, arborant un bonnet tricoté par une de ses assistantes, orné d’un crâne de pirate rouge brodé. Car le crâne blanc signifie en piraterie que le combat sera mené même si tous les protagonistes sont réduits à l’état de squelette : il lance alors à son assistante qu’il est encore de ce monde et que, pour faire un pied de nez à ce symbole, il préfère le rouge sang d’un être encore bien vivant !
Vous avez raison, monsieur Mastumoto. Ne soyez pas pressé, nous pouvons encore attendre, finalement.
« Personne ne naît sur cette Terre pour simplement mourir ». Leiji Matsumoto.
Kara
Photos © Kara/BoDoï
Commentaires