L’Épopée infernale
Parvenir à être publiée quand on est une jeune autrice de BD, peut-on imaginer une quête plus épique ? Remplacez le dragon par l’éditeur, et le trésor du convoité donjon par le Grand Prix de la ville d’Angoulême : vous voilà prêts pour faire les choix d’une vie…
En ressuscitant le format du Livre dont vous êtes le Héros (ou plutôt l’Héroïne), qui consiste pour le lecteur à choisir à chaque fin de chapitre entre plusieurs actions et se rendre à la page indiquée, L’Épopée infernale d’Émilie Plateau propose ainsi au lecteur de forger lui-même son chemin dans les méandres du milieu de la bande dessinée… L’aventure commence avec l’envoi d’un projet à un éditeur. Va-t-il vous répondre ? Est-ce que cela lui plaira ? Jusqu’à quel point peut-on accepter de modifier son projet ? Comment négocier ses droits ? Une fois ces premiers obstacles (très difficilement) passés, votre chemin ne sera pas un long fleuve tranquille : dédicaces et festivals ne sont pas forcément des expériences toujours enthousiasmantes, en particulier pour une jeune femme dans un milieu très masculin, sans oublier votre famille qui ne comprend pas forcément votre vocation.
Entre hasard et détermination, sachez que si vous n’avez pas d’argent, il vaut mieux avoir des amis, que la procrastination sera diversement rétribuée et que, pour obtenir cet artefact rare et précieux qu’est le Grand prix de la ville d’Angoulême, un patronyme masculin et une préférence pour les multiples de cinq pourront être utiles [soluce sur demande, ndlr]. Mais d’autres destinées sont possibles : photocopier son fanzine chez l’imprimeur du coin, « c’est déjà pas si mal », tout comme avoir la satisfaction de faire adopter le mot « autrice » à son paternel. Mais sinon attention aux chutes, rivières en furie et pertes de manuscrits. Très axé private joke, le récit réjouira les féministes et les passionnés des coulisses du métier de dessinateur et de l’édition.
Au final, L’Épopée infernale rend un hommage bienvenu à ces histoires à choix multiples dont l’émergence a été une petite révolution dans les années 80. Mais malgré un beau travail sur l’édition du livre à l’ironique dorure, la patte humoristique du dessin minimaliste d’Émilie Plateau (Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin) peine un peu à se développer au milieu du texte, trop présent. Concrètement, chaque mini-chapitre ne faisant qu’une seule page, cela oblige à naviguer sans cesse au sein de l’ouvrage, consacrant presque plus de temps à la recherche qu’à sa lecture effective. Et rendant ainsi l’expérience du lecteur aussi inconfortable que celle d’une jeune autrice de BD.
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