Les + du blog : EMMANUEL GUIBERT 3/4
Illustration extraite de Monographie prématurée de Guibert © L’An 2.
EMBRYON DE TALENT
« Sur cent pour cent d’enfants qui dessinent, quelques-uns constatent très tôt que cette activité leur convient – le mot est faible -, qu’elle leur plaît, qu’elle les emballe, qu’elle les bouleverse. Qu’elle est secourable. Qu’elle est un viatique contre la tristesse, pour la joie. Plus simplement, qu’elle fait du bien. C’est une constatation dont je suis sûr qu’elle intervient très tôt, dans le millénaire d’existence inaccessible au souvenir, entre zéro et deux ans. Je ne serais pas surpris d’apprendre qu’elle a sa source dans un frôlement de l’index du fœtus sur la paroi utérine, pourquoi pas ? C’est long, neuf mois enfermé. Qui dit que la sensation du dessin ne commence pas là, dans cette grotte de la squaw ? Car, après tout, pourquoi dessine-t-on ? Pour comprendre, pour communiquer, pour l’immersion autant que l’évasion, pour le plaisir. Le dessin n’est pas une des toutes premières manifestations de l’intelligence, mais il en est une réaction précoce et spectaculaire. Le fœtus dessinateur est une blague à laquelle il me plaît beaucoup de croire. J’ai dessiné dans ma maman pour comprendre qui était ma maman. J’ai dessiné dans ma maman pour lui témoigner ma présence. J’ai dessiné dans ma maman pour signifier que j’étais bien dans ma maman et que je souhaitais y rester. J’ai dessiné dans ma maman pour dénoncer mon sort intolérable et exiger de sortir immédiatement de ma maman. En dernière analyse, j’ai dessiné dans ma maman parce qu’il m’a plu de le faire. Si je remplace le mot « maman » par le mot « vie », j’énumère les raisons qui, aujourd’hui encore, me portent à dessiner.
Bref, laissons la préhistoire, entrons dans l’histoire et retrouvons, après arrêt sur image, ce gamin qui se précipite sur la feuille jetée au sol. BOUM ! il atterrit. Il débouchonne un feutre. Tout cela se fait dans une certaine frénésie, la même qu’on mettra, plus tard, à déployer le poster central d’une revue légère ou à se coltiner une attache de soutien-gorge. Car on voit bien la tension sensuelle qu’il y a dans tout cela. L’enfant va s’exprimer, se soulager, se satisfaire. »
Monographie prématurée de Guibert, L’An 2. 136 pages, 19,50 euros.
Illustration extraite de Monographie prématurée de Guibert © L’An 2.
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