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Les + du blog : « SOLTROIS # 1 »

9 novembre 2006 |

SOLTROISTHOMAS, L’IMPOSTURE
Comment alimenter en scénarios le torrent d’albums paraissant chaque année ? Comment satisfaire la boulimie du lecteur sans rabâcher les mêmes recettes ? Une des solutions est de partir faire son marché dans l’imaginaire d’hier qui recèle de jolies pépites oubliées. La science-fiction romanesque, en particulier, commence à être sérieusement revisitée (pillée ?) par des auteurs en quête d’hauteur. Morvan et Li-An adaptent en huit volumes l’étonnant Cycle de Tschaï de Jack Vance. Ogaki et Algésiras s’attaquent à un cycle fleuve de Pierre Bordage, Les Guerriers du silence (Delcourt). Khaled met en image un bijou de Jean-Pierre Andrevon, un Blade Runner à la française paru en 1990 directement en collection J’ai Lu, Le Travail du furet à l’intérieur du poulailler retitré – les lecteurs de BD sont incapables de lire plus de quatre mots, c’est bien connu- Les Chroniques de Centrum (Humanos). Dernier avatar du genre, Soltrois*, tiré d’un roman de Gilles Thomas datant de 1979. Retour sur la trahison de l’année.
Soltrois # 1 : Dans les rêves de l’arbre roi, par Mauro De Luca et Jean-Martial Lefranc, Humanos, 12,90 euros.

UNE VOLEE DE BOIS VERT
A l’été 1976, peu nombreux furent les lecteurs de la collection populaire Anticipation du Fleuve Noir (six sorties par mois) à soulever un sourcil en refermant un roman titré Les Hommes marqués. Son sujet : la révolte de Terriens réduits en esclavage après une guerre perdue. L’auteur, un petit nouveau du nom de Gilles Thomas, racontait son histoire à la première personne, méthode dont était coutumier depuis belle lurette, Peter Randa, auteur prolifique du Fleuve. Randa qui, lui aussi, utilisait de gros caractères pour arriver à livrer ses 200 pages quasiment mensuelles. Donc rien de bien nouveau dans le lit du Fleuve. Chacun pouvait se rendormir tranquille.
Deux autres Gilles Thomas sortirent dans la foulée. Normal, la direction du Fleuve demandait toujours à ses nouveaux auteurs de prouver qu’ils étaient capables de produire beaucoup et vite avant de commencer à les lancer sur le marché. La Croix des décastés tournait aussi autour des notions d’asservissement et de révolte. Dès le début, l’auteur annonçait la couleur : «Le fer rougi s’abaissa sans hâte. La croix de métal ardent se posa sur l’épaule droite (…) et s’enfonça. La chair grésilla, fumante ». Du percutant. Les amateurs en lecture automatique du Fleuve Noir commencèrent à lever un sourcil : Thomas apportait une petite musique différente au sein d’une production moutonnière.


Allez, hop, une petite partouze en bonus, ça ne peut pas faire de mal !

Au troisième titre, L’Autoroute sauvage, le lecteur, tout à fait réveillé, se frottait les yeux de bonheur. Dans une France dévastée par un conflit atomique, un homme seul prenait le chemin du sud, marchant sur ce qui restait de l’autoroute du même nom. Il quittait sans regret les pillards, rats pesteux, poches de gaz hallucinogènes et mares de bactéries qui étaient alors le lot quotidien des derniers Parisiens. Mais on sait ce qu’on perd, on ne sait pas ce qu’on trouve… Devaient suivre, dans le même registre, La Mort en billes et L’Île brûlée. Cette trilogie très vite célèbre sacra Thomas nouvelle étoile du Fleuve Noir. Loin des récits riches mais ampoulés d’auteurs tel les Le May, Thomas glissait le lecteur dans la peau de personnages humains à qui il arrivait les pires emmerdements nappés de postulats fantastiques qu’il ne se donna jamais la peine d’expliquer. On était là pour frémir, rire, pleurer et aimer dans des mondes fous et improbables. Le tout avec sensibilité, humanité, sans gnan gnan superflu mais sans sadisme gratuit non plus. On comprit mieux pourquoi quelques années plus tard. Gilles s’appelait Julia. Julia Verlanger, auteur respectée de SF venue s’encanailler sous pseudo au Fleuve. Elle ne fut pas la seule*.
Résultat, une grosse quinzaine de romans qu’on peut aujourd’hui lire sans honte et même avec plaisir. Ainsi D’un lieu lointain nommé Soltrois. Les humains ont conquis une planète où vivent des êtres-arbres. Les deux races se sont mêlées et leurs descendants au sang vert dominent ce monde, utilisant les descendants des colons –blancs, évidemment- comme esclaves. Un thème cher à Thomas. Le fils d’un roi vert, mis au monde par une esclave, devra choisir son camp dans ce monde retourné au stade moyenâgeux.

Les quatre premières couvertures des Gilles Thomas sont signées du grand Brantonne, le père des fameux premiers Fleuve Noir Anticipation à la célèbre fusée rouge sur la tranche, à chaque fois différente. Ensuite, jusqu’aux Cages de Beltem, les couvertures n’ont rien à voir avec le contenu. Le Fleuve achetait des Ecktas au kilo en Angleterre et les répartissait « au mieux » selon les titres. Enfin, les trois derniers titres sont parus sous des couvertures de Florence Magnin, auteur entre autres de L’Héritage d’Émilie (4 albums parus, Dargaud).

C’est le premier tome de l’adaptation de ce roman de Thomas que publient les Humanos, annonçant s’être « assurés les droits de la plus grande partie de ses romans ». Et d’ajouter, dans L’Humano # 3 d’octobre, que « les auteurs ont été bien sûr invités à laisser parler leur sensibilité, à faire dialoguer l’œuvre de Julia Verlanger avec les temps présents ».
Qu’en termes élégants ces horreurs-là sont dites ! Il aurait été plus juste de reconnaître, qu’au nom d’un modernisme idiot et d’un besoin irrésistible de caresser le lecteur dans le sens du poil,même si ce poil est ras, on allait trahir allègrement l’auteur de D’un lieu lointain nommé Soltrois. Un bien beau titre cadencé devenu un froid Soltrois d’où toute sève poétique a disparu.
D’un lieu lointain nommé Soltrois, le roman, est l’approche du problème de la différence par le biais d’une sensualité différente. Le héros est amoureux d’une dame-arbre dont les racines sont en terre. « Je n’avais nulle raison de désirer cette femme qui, si elle ressemblait à une femme, me paraissait fort asexuée. Très peu de seins, pas de nombril, et, pire, pas de fente entre les jambes. Difficile de l’imaginer accouplée à un homme. Où se trouvait le passage ? »
Soltrois, la BD, présente une bimbo fortement poitrinée, aux lèvres siliconées, à l’œil aussi énigmatique qu’une candidate à la star Ac’ et prenant des poses aussi naturelles que celles de Marilyn Monroe photographiée pour un calendrier de routiers.
D’un lieu lointain nommé Soltrois, le roman, montre très peu de violence. La guerre qui mène à l’écrasement des esclaves est évoquée mais jamais décrite. Quand Jellal, le héros, se bat en duel, l’action est expédiée en onze mots : « Je n’ai pas mis un sablier de temps à le tuer ». La mort des méchants est aussi d’une pudeur inhabituelle en heroic-fantasy. On apprend que l’un d’eux a été englouti dans des marécages et que le tonton félon a été « tué la nuit dernière par un groupe d’esclaves ». Point. Les amateurs de vengeances bien saignantes ont dû faire la gueule.
Soltrois, la BD, n’a pas de ces pudeurs de dame. Tout commence par six pages de carnages, bien saignantes, suivies d’une de sexe. Le repos du guerrier en somme.
Que reste-t-il de la petite musique de Julia Verlanger ? De ce mélange de rudesse et de retenue, d’aventures un peu fofolles menées par des héros humains et ordinaires, des anti-Rambo auxquels pourtant le lecteur s’identifiait avec bonheur ? Rien. Un vague canevas arraché au roman pour servir de pupitre à une partition qui se veut écolo -on croit rêver-, joliment dessinée mais reprenant tous les tics des plus mauvais pensums d’heroic-fantasy pondus à l’ombre de Soleil. La pédanterie en plus.
On frémit en pensant qu’il existe une quinzaine d’autres histoires signées Gilles Thomas à dépecer.
JPF
* Jean-Pierre Andrevon signait sous le pseudo d’Alphonse Brutsche, Gérard Klein se faisait appeler Gilles d’Argyre, Pierre Pelot se cachait derrière Pierre Suragne…

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