Les Évaporés
Au Japon, le phénomène des « évaporés » a déjà été bien documenté. Des hommes, des femmes, qui quittent famille et domicile du jour au lendemain, pour disparaître un temps du regard de la société. La plupart finissent par réapparaître, mais pas tous. Mère s’évaporant avec ses enfants pour échapper à un mari violent ou inconséquent, salaryman au bout du rouleau fuyant la pression du travail, les cas sont variés et nombreux. Isao Moutte s’empare du sujet à travers le roman de Thomas B. Reverdy, et produit une fascinante fiction autour de ce phénomène.
L’auteur de Castagne et La Trève, chérie met en scène un quinquagénaire sans histoire, viré du jour au lendemain car il serait en possession de documents compromettants. Pour protéger sa famille, il s’évapore et monte un petit business de débarras d’habitations abandonnées ou détruites, notamment dans la région de Fukushima, et recueillera un gamin témoin d’un meurtre. Alertée de cette disparition, sa fille revient de France, où elle poursuit tant bien que mal des études d’art, pour essayer de comprendre le geste de son père…
Le travail d’Isao Moutte est empreint d’une grande retenue, tant dans la narration, parfaitement maîtrisée, que dans l’expression des sentiments des personnages. Son noir et blanc très gratté se fait presque funèbre dans ce polar sociétal, où il est sans cesse question de disparitions : le père qui s’en va, les yakuzas qui tuent les mauvais payeurs, les habitants de Fukushima balayés par le tsunami, les employés du site nucléaire qui meurent à petits feux… Aussi austère qu’hyptonisant, l’album dépeint un Japon meurtri et malade de ses conventions sociales, mais aussi désespérément résilient. Une vision d’auteur qui reste en tête longtemps.
Publiez un commentaire