Verlaine et Rimbaud, leur relation passionnelle, intellectuelle et amoureuse, qui a débordé jusqu’à ce que le premier tire sur l’autre. L’histoire est connue, mais les détails du tourbillon de leur vie moins. Moins connue aussi, voire carrément oubliée, la figure de Germain Nouveau, aspirant poète, protégé de Cézanne. Provincial et amateur de vers de Verlaine, il rencontre à Paris toute une horde d’artistes et se rapproche du poète taciturne. Lit Rimbaud, est subjugué par Une saison en enfer, puis est hypnotisé par l’adolescent aux semelles de vent et à la plume fulgurante. Or ce dernier se détache vite de l’écriture, ne manque pas une occasion de choquer les convenances, erre en Belgique, en Grande-Bretagne, en Allemagne, avant de s’évaporer vers de plus exotiques aventures. Germain Nouveau met alors la main sur le manuscrit des Illuminations et hésite sur la marche à suivre, jusqu’à prétendre fugacement être l’auteur de ce trait de génie.

Bien plus qu’un biopic croisé sur un trio poétique, Les Illuminés est une brillante étude de caractères en même temps qu’une bande dessinée à la narration audacieuse. En effet, dans son dispositif tient toute son originalité et toute sa pertinence : on suit en parallèle deux voire trois destins concomitants, les strips du haut se déroulant en même temps mais à un autre lieu que ceux du bas, et un code couleur (sépia, brun, vert absinthe, gris bleu…) permet de bien les distinguer. Ainsi, on voit Rimbaud, gamin génial mais pénible, qui par ses écrits révolutionnaires et son visage d’ange envoûte Verlaine puis Nouveau. En même temps, on voit Verlaine sombrer dans le doute et la dépression, puis le mysticisme, désarçonné par ses amours sanglantes avec le gosse de Charleville. Et entre les deux, Germain Nouveau, littéralement fasciné par le talent de Rimbaud, n’aspirant qu’à s’approcher de lui en tout aveuglement. Une fois accepté cette construction étonnante de planches, la lecture se fait fluide et prenante.

Centré sur le pouvoir de la création et les sentiments puissants d’un amour littéraire à trois – alors que les trois « héros » ne croisent jamais à trois! –, Les Illuminés ne dévie jamais de son angle et tente de comprendre, avec beaucoup de subtilité, le cheminement intellectuel qui fait avancer les artistes et les explorateurs de notre monde. Un thème que Jean Dytar avait déjà exploité dans La Vision de Bacchus ou Florida. Ici, accompagné par le sens du dialogue et de l’efficacité du scénariste Laurent-Frédéric Bollée, il propose un graphisme inspiré des photos de l’époque, dans un réalisme nuancé au flou artistique maîtrisé. Voilà pourquoi Les Illuminés restera comme une très belles BD de 2023, et au-delà.