Tous deux confondateurs des éditions Polystyrène mais aux univers semblant jusqu’ici très éloignés, Ludovic Rio (Aiôn) et Alex Chauvel (Les Pigments sauvages, Todd le géant s’est fait voler son slip…) lancent ensemble une série de science-fiction chez Dargaud. Une nouvelle inattendue pleine de promesses, tant l’univers du scénariste, porté sur les récits croisés et les grandes fresques, semble pensé pour les projections futuristes, même s’il n’avait jamais exploré le genre. De son côté, Rio a réalisé un premier grand album dans ce genre, avec un scénario efficace et bien maîtrisé, qui donnait envie d’en voir plus.

Dans son premier album, le dessin était d’ailleurs tout aussi maîtrisé. Sans esbroufe, il réussit à développer un dessin réaliste qui ne soit pas rigide, et évoque étonnamment certains traits de films Disney. Avec Les Murailles invisibles, il nous plonge en plein Paris contemporain. Soudain, les téléphones ne captent plus et un avion s’écrase dans le ciel : des murailles invisibles ont encerclé une zone, soudain coupée du monde. Le personnage principal, logiquement, cherche à rejoindre les siens de l’autre côté. Assez classique, direz-vous, sauf que de l’autre côté du mur, on ne trouve pas les siens, mais une autre époque, toute aussi fracturée. Parfois les habitants ont compris ce décalage temporel, parfois pas du tout. Le paradoxe temporel est aussi un classique de SF (toujours risqué, mais qui semble ici bien cohérent), le mêler à ces murailles l’est moins. Et les choses vont en se complexifiant, tout en gardant un air de grande aventure.

Lino, notre contemporain, croise une brigade de Nostoc, une autre civilisation, visiblement plus avancée dans la compréhension des murs. De simple conducteur ponctuel, trouvé par hasard, il devient leur scribe et se lance à son tour à travers les failles. Les rebonds fonctionnent bien, et malgré les possibles nœuds de cerveaux, la dynamique du récit et du dessin permettent d’abaisser l’incrédulité et de se laisser porter. Une seule frustration, un peu comme dans Aiôn, qui n’avait pourtant pas le même scénariste, l’ensemble paraît trop court. Une excellente exposition, mais maintenant que l’univers est compris, nous aimerions que les grandes choses débutent. La bonne nouvelle est que, cette fois, une suite est annoncée. Espérons qu’elle permette de développer ce prometteur univers.

PS : Facétie éditoriale qui plaira à celles et ceux qui ont aimé les expérimentations cartographiques de Chauvel, ce dernier a justement dessiné un plan des mondes entrecoupés sur les gardes de l’album.