Les Zola
Lorsque le jeune Émile Zola, alors chargé de la publicité des auteurs aux éditions Hachette, rencontre sa future femme Alexandrine, rien ne prédestine ni leur union, ni son succès littéraire. Alexandrine est une jolie femme délurée essayant d’oublier la misère de sa première vie, dont le métier est de servir de modèle pour les peintres parisiens, alors que Zola vient du milieu bourgeois – ce que ne manque pas de lui rappeler sa mère. C’est pourtant bien de leur mariage et, au fond, de leur association, que naît le « grand auteur » Émile Zola. Alexandrine a en effet l’idée de montrer le Paris populaire à son mari, technique de reportage dont il forgera le « naturalisme ». C’est elle encore qui institue les fameuses « soirées de Médan », dont elle est la maîtresse de maison. Le succès vient alors aux Zola, à qui il ne semble manquer que des enfants pour être parfaitement heureux. Sauf qu’un jour, Émile a une aventure avec une jeune servante.
De la même manière que l’histoire traditionnelle met généralement en avant les « grands hommes », sans forcément toujours mentionner les exécutants qui se chargent du travail, on voit souvent les grands auteurs de manière monolithique. On rend ainsi hommage à leur génie individuel, comme s’ils s’étaient fait tout seul, en oubliant qu’ils sont comme tout le monde aussi le produit d’un environnement, d’une éducation, et du soutien – ou pas – de leur entourage. Dans cette première bande dessinée très réussie du duo Méliane Marcaggi/Alice Chemama, Émile Zola n’est plus seulement envisagé isolé, mais comme une somme d’énergies et d’événements dont l’équilibre, parfois fort, parfois fragile, n’est jamais gagné d’avance. Et le monument littéraire qu’est devenue l’oeuvre de cet écrivain crucial (notamment par la place qu’a pris son engagement en faveur de Dreyfus au tournant du siècle) apparaît tout à coup comme la résultante complexe d’un courage partagé, et d’un effacement altruiste et volontaire des seconds rôles ; en l’occurrence, celui de ses femmes.
Avec une absence de jugement habile, une distance calculée et délicate, la comédienne, réalisatrice et scénariste Méliane Marcaggi le présente sous les traits d’un bourgeois sensible, discret et doux, travailleur discipliné – presque maladif – d’esprit ouvert mais capable, également, de duperie. Il y a bien quelques lourdeurs dans l’écriture de ce qui était au départ un scénario destiné au cinéma ; le rythme et les dialogues sont largement perfectibles, quoique travaillés sérieusement. C’est principalement la qualité du regard, ainsi que des choix de narration pertinents qui font de cet album une réussite, alors que d’ailleurs, il aurait pu très facilement se prendre les pieds dans le tapis et devenir un ratage total.
Il est rare d’avoir autant de bonnes surprises sur un premier album. Alice Chemama en est pourtant une autre. Cette jeune dessinatrice aventureuse, diplômée des Arts Décos en 2017, dont c’est pourtant là le premier travail d’ampleur, fait preuve d’une maturité esthétique impressionnante et particulièrement prometteuse. Elle réalise un quasi sans-faute, de la couverture, inhabituellement recherchée (et composée comme un tableau), aux tons délavés si particuliers qu’elle emploie dans la couleur, référence aux peintres impressionnistes qu’elle a potassés pour l’occasion.
Et pour couronner le tout, le travail inspiré d’une éditrice, qui a su dénicher ces talents et les marier, afin de livrer ce qui est finalement une des bonnes surprises de cette rentrée.
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