L’histoire de Pif et de ses créateurs en deux livres importants
Retour sur deux ouvrages remarquables qui retracent l’épopée de Pif Gadget et du dessinateur José Cabrero Arnal.
Pif Gadget, revue mythique de bande dessinée, avait réussi à mélanger exigence qualitative, partage de valeurs et diffusion grand public. Son apport a pourtant longtemps été méprisé par rapport à d’autres revues alors que c’est dans Pif Gadget (ou Vaillant, son ancêtre) que Marcel Gotlib, Jean-Claude Forest, Paul Gillon, Massimo Mattiolli, Raymond Poïvet, Mic Delinx, Nikita Mandryka, Jean Cézard, Hugo Pratt, Jean Tabary et bien d’autres ont débuté et lancé leur carrière. Excusez du peu ! Depuis quelques années une redécouverte a lieu, sous l’impulsion de fans venus du site Pif Collection et de Richard Medioni, ex-rédacteur en chef de Pif Gadget et fondateur des éditions Vaillant Collector, qui publient des travaux explorant l’histoire du journal.
Une histoire qui est au cœur du dernier ouvrage de Richard Medioni, Mon Camarade, Vaillant, Pif Gadget : l’histoire complète. Pour la première fois un ouvrage brasse toute l’histoire du journal, mais remonte aussi à ses prédécesseurs : Le Jeune Patriote et Vaillant bien sûr, dont Pif Gadget est l’héritier direct, mais aussi d’autres revues de bande dessinée dites progressistes. Elles n’étaient pas forcément aussi liées au Parti communiste mais partageaient ce même esprit de solidarité, de courage et dénonçaient la « presse bourgeoise ».
Ces cousins pas si éloignés sont Jean-Pierre, première revue illustrée ouvertement communiste, publiée en 1901 (!), mais aussi Les Petits Bonhommes, Le Jeune Camarade et surtout Mon camarade, qui a connu à la fois la plus longue postérité et les travaux les plus artistiquement intéressants. Car il ne faut pas se leurrer, à l’époque la bande dessinée se veut avant tout simplificatrice, et ce afin, à l’aide d’images, de passer des messages à une population majoritairement illettrée. Il reste qu’au milieu de bandes à l’intérêt aujourd’hui limité se trouvent de vraies perles comme les naïves mais superbes aventures de Pipe, Flûte et Pomme par Marco, complètement oubliées de nos jours. On découvre aussi les débuts de Jean Trubert ou encore un récit de SF étonnamment proche d’un épisode mythique des Pionniers de l’espérance publié des années plus tard dans… Vaillant !
Après ce brassage historique de la presse communiste, Medioni nous présente plus largement la grande aventure des éditions Vaillant. Du Jeune Patriote, feuillet clandestin de la Résistance, à la triste fin d’un Pif Gadget dénaturé des années 1990, uniquement guidé par des préoccupations commerciales au mépris de l’audace qui avait fait son succès, en passant par la naissance du gadget, la création des grandes séries, des portraits des auteurs… Structuré en courts chapitres riches en informations et abondamment illustrés, le livre est passionnant. La prose de Medioni se lit très bien et on avale rapidement ce monumental pavé (560 pages quand même).
Medioni était un acteur privilégié de l’aventure de Pif, cela donne beaucoup de vie au texte, même si parfois cela implique sans doute un léger manque d’objectivité : si Pif Gadget a été un formidable laboratoire, tout n’y était pas forcément génial, même dans la plus belle période. Il admet quelques légers plagiats du côté de la BD américaine, mais a tendance à être parfois un peu trop enthousiaste. Il reste qu’une génération d’auteurs de talent ont réellement été méprisés par la critique pour de mauvaises raisons. Redécouvrir leurs débuts, leur trajectoire, mérite bien quelques écarts.
Au premier rang de ces auteurs géniaux trop méconnus figure José Cabero Arnal. Le créateur de Pif et de Placid et Muzo (une version poétique et brillante, loin des fades héros de Nicolaou) était un des meilleurs dessinateurs de son époque, en plus d’être un gagman brillant – il faut relire les strips de Pif parus dans L’Huma ! Philippe Guillen, historien et grand admirateur du dessinateur, a décidé de se pencher sur l’homme, timide et peu loquace sur sa vie privée, mettant en lumière sa longue carrière en Espagne avant son exil forcé.
Car au-delà du dessinateur, Arnal est aussi un militant, pas un de ceux qui tentent d’inculquer de lourds « messages » aux bambins dans ses œuvres, mais un militant de terrain. Syndicaliste, républicain jusqu’au bout des ongles : alors qu’il connaît un grand succès dans son pays, il choisit de lutter auprès de ses camarades de gauche lors du coup d’État de Franco. Aux côtés de ses camarades, il vit les espoirs de la lutte et la désespérance lorsque les dernières forces démocratiques sont abattues.
Fuyant une mise à mort certaine, il arrive en France ou, comme des milliers d’Espagnols, il est emprisonné avant de devenir soldat sur la Ligne Maginot. Mais quand la France tombe, elle ne défend pas ces centaines d’Espagnols qui ont pourtant tenté de la défendre, elle, malgré l’amitié que lui témoigne sa « marraine de guerre », une certaine Jospéhine Baker ! Et c’est dans les camps de concentration de Mauthausen qu’Arnal poursuit ce terrible chemin. Étiqueté prisonnier politique, il doit son salut à un SS amateur de dessin pornographique qui lui rend la vie un peu plus facile malgré tout…
À la Libération, c’est un Arnal affaibli qui arrive à Paris, attendu par personne, rejeté par la société. À travers les réseaux d’amitié de gauche, il se remettra sur pied, et commencera sa carrière à L’Humanité, l’organe du PCF qui accueille logiquement son talent. S’ensuit ensuite la grande et belle carrière que l’on connaît. Philippe Guillen ne s’y étend pas, son travail visant vraiment à découvrir le parcours et les origines de ce grand dessinateur, que tous ceux qui l’ont fréquenté décrivaient comme profondément secret, modeste, mais aussi fragile physiquement, séquelle de terribles années de privations.
Clair, richement illustré, le livre de Philippe Guillen comble un énorme vide et s’affirme comme un outil indispensable pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de la bande dessinée, et ce, malgré une maquette un peu ratée. En attendant un ouvrage sur la suite de sa carrière et, on peut rêver, une réédition de ses œuvres…
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Mon camarade, Vaillant, Pif Gadget – L’histoire complète
1901-1994 les journaux pour enfants de la mouvance communiste et leurs BD exceptionnelles.
Par Richard Medioni.
Ed. Vaillant Collector, 39 €.
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José Cabrero Arnal, de la République Espagnole aux pages de Vaillant.
Par Philippe Guillen.
Loubatières – 32,50 €.
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