Littoral
Étonnant ouvrage que Littoral, format à l’italienne composé d’une centaine de cases pleines pages, qui peut se lire rapidement comme laisser place à de longues pauses. Étonnant ouvrage d’un auteur assez discret, également animateur et réalisateur, qui distille ici un fanzine, ici un livre. Semblant prendre un parti pris autobiographique, Antony Huchette nous place à Brooklyn, père séparé et en garde alterné de son enfant, et s’apprêtant à retourner vivre en France…
Mais le personnage s’appelle Joseph, comme celui du déjà semi-fictionnel Brooklyn Quesadillas, qui faisait vivre certains personnages que l’on recroise ici, et s’appuyait lui aussi sur un dessin entre le croquis et la convocation de figures imaginaires venue de l’animation des 30’s. Rapidement Littoral quitte la stricte évocation d’une touchante relation parent-enfant et histoire de séparation, qui reste tout de même bien anecdotique pour le lecteur. Voici que la chronologie semble bouleversée et qu’on s’attache à des détails, un vase, un souvenir de baiser qui aurait pu créer quelque chose (mais non), une odeur de muscade, qui rythme de manière récurrente le livre.
Les liens logiques sautent parfois entre ces images, et l’on comprend que ce titre n’évoque pas simplement deux pays séparés par l’océan, mais bien ces souvenirs un peu flous, qui viennent et refluent sur une côte mentale. Il paraît qu’il y a pas mal de liquide pour actionner notre cerveau, des choses qui circulent en flux peu maîtrisables et parfois incompréhensibles, qui se rencontrent et se fracassent comme des vagues.
Les intersections, les rebonds, ces étonnantes évocations sont particulièrement présentes dans Littoral, où la vie quotidienne croise des citations de Robert Filliou, des bribes musicales, une vie frontalement premier degré et des imageries clairement cartoonesques, le tout ponctué de surprenantes images abstraites qui se laissent parfois aller à d’envoûtantes séquences.
Un ouvrage étonnant que Littoral donc, qui divisera les lecteurs mais pourrait en surprendre certains, tant l’aspiration est naturelle et ne nécessite pas un goût prononcé pour l’expérimental ou l’étrange. On se fait happer ou non, quels que soient nos prérequis, et si l’on a plongé, la relecture régulière semble une évidence.
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