L’Ombre de moi-même
Il passe le plus clair de son temps à s’auto-congratuler, à décréter que tout était mieux avant. Quand on roulait « bourrés » et sans ceinture, quand la jeunesse signifiait enchaîner les conquêtes. Aujourd’hui, il coache son ami écrivain, tente encore de séduire malgré la vieillesse. Sans trop y croire, lui le vaniteux revenu de tout. Trop misogyne pour tomber amoureux et vieux con devant l’éternel, Serge – ex-directeur de la filiale Asie-Pacifique de la SEMCO – avance dans la vie désenchanté, sûr de son expérience. Hautain, il écrase toute bien-pensance par son sens de la provoc’ amusée. Sa mauvaise foi, il l’assume jusqu’au bout. Serge, à l’ombre de lui-même, prend la posture pour mieux ignorer la vérité sans en être tout à fait dupe. C’est peut-être là son génie.
Serge, par excellence , c’est l’homme qu’on adore détester. Véritable tête à claques, il trompe sans scrupule, assène quelques vérités sans tact et aime choquer. Odieux, dépossédé de son lustre d’antan et aveuglé par ses certitudes d’un autre temps, Serge, malgré le poids des années, tente de sauver les apparences et d’échapper à ce qu’il ne maîtrise plus : la vie qui file, les gens cons, la vieillesse, le regard des autres, les mentalités. Comment ? Par l’humour noir et une posture réac’ assumée. Oui, les choses étaient mieux avant. On pourrait s’arrêter là et jeter à la poubelle ce personnage aussi pathétique que mystérieux, qui tantôt s’accable tantôt se célèbre. Oui mais voilà, Serge est aussi ce genre d’individu : tellement insupportable et irrécupérable qu’il en devient attachant. Pas sûr d’ailleurs qu’il soit aussi monocorde qu’il le laisse paraître. Serge a de l’esprit, de l’humour (cynique), pas mal de lucidité et on finit par saisir ses faiblesses : peur de la mort, de la solitude et d’un temps qui fuit, inexorablement. Le duo Martiny/Petit-Roulet s’amuse ainsi à flouter les limites : doit-on haïr ce personnage qui cumule les tares ou l’admirer justement pour ses défauts, finalement très universels ? À quel degré doit-on lire ces tranches de vie désabusées ? Au fond, on n’a pas les réponses. C’est là tout l’intérêt de L’Ombre de moi-même, blotti dans l’élégance minimaliste d’une ligne claire à la tendre empathie, à même d’adoucir l’horizon mélancolique d’une vie.
Articles Récents
Commentaires Récents
- Gance sur Le Cas David Zimmerman { Pas grand chose à ajouter à cette excellente critique, si... } –
- MTR sur Angoulême 2025 : la sélection officielle { Je pense que le grand changement dans la composition de... } –
- Natacha sur BD Colomiers : un programme pointu et engagé { J'étais à cette édition du festival, du vendredi au dimanche... } –
- Zorg sur BD Colomiers : un programme pointu et engagé { Bon, je dois faire amende honorable... J'étais au festival aujourd'hui... } –
- Zorg sur BD Colomiers : un programme pointu et engagé { Merci pour votre travail. Je suis cependant très circonspect voire... } –
- Flo sur Doctor Strange : Fall Sunrise { Attention, gros morceau artistique ! Le dessinateur Tradd Moore, sa... } –
Publiez un commentaire