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Mademoiselle Caroline, chronique d’une dépression

19 décembre 2013 |

chute_libre_photoBlogueuse et auteure jusqu’ici de « BD de maman », selon ses mots, Mademoiselle Caroline a publié à la rentrée un album autobiographique d’une rare force: Chute libre – carnets du gouffre, ou le récit de ses années de dépression, des traitements qui déglinguent, des psys qui n’aident pas, et de la manière dont elle s’en est sortie. Rencontre avec une auteure bien dans ses pompes – d’impressionnantes chaussures à talons rouges qui brillent qu’elle a dessinées elle-même –, et qui tourne lentement une page importante de son histoire.

En racontant vos années de dépression et comment vous vous en êtes sortie, quelle est votre intention?

Dans mes rêves les plus fous, si j’arrive à faire comprendre à un maximum de gens ce qu’est réellement la dépression, ce serait parfait. Car c’est très compliqué de décrire cette maladie, de donner des raisons, même à son entourage. Quand on dit que ça ne va pas, on n’est pas en mesure d’expliquer à quel point ni pourquoi. La plupart des gens trouvent qu’on a aucune excuse, pensent que c’est de la « feignantise », que c’est dans notre tête, qu’on s’écoute trop… Il n’y a rien de concret, donc on n’est pas malade.

Vous non plus, vous ne vous pensiez pas malade.

C’est vrai. Heureusement que mon mari a insisté pour que j’aille voir un médecin, puis un psy, car je n’y serai jamais allée toute seule. Mais il a quand même fallu attendre le 4e psychiatre pour que je comprenne que j’étais malade et que j’allais donc me soigner. Il a su trouver les bons mots. Mon livre est donc aussi là pour susciter une forme d’espoir.

chute_libre_depressionCar vous vous en êtes sortie.

Oui, officiellement, je suis « guérie ». Même si je prends encore de toutes petites doses d’antidépresseurs, par habitude plus que par crainte… L’effet placebo doit bien fonctionner! J’ai retrouvé une vie normale, dont je peux pleinement profiter. Bon, j’ai pris 20 kg, mais j’en m’en fiche. De toute façon, quand j’étais malade, j’étais super bien foutue mais je n’en avais rien à faire, alors…

Au-delà du sujet, cet album est d’aspect très différent de vos précédents ouvrages (Enceinte, Quitter Paris, Je commence demain…).

Oui, ces livres étaient dessinés comme je savais le faire, dans un style un peu girly que j’utilise pour mes travaux de commande et d’illustration. Chute libre est dessiné comme je dessine pour moi, de manière assez lâchée, et donc cohérent avec les pages de carnets que j’y insère. Mais j’ai eu du mal à me laisser faire, à m’autoriser à aller dans cette direction graphique!

Comment représenter la dépression?

Dans les moments les plus durs, j’avais la sensation que j’étais morte, qu’une chape de plomb pesait sur moi, que je tombais dans un gouffre, dans le noir. C’est ce que j’ai essayé de montrer. Et quand je raconte ma prise d’anxiolytiques, les « petites gouttes qui rendent débiles », je me montre comme je me voyais alors : c’était terrifiant, je vivais comme un dédoublement, je me regardais immobile sur le canapé, incapable de rien faire d’autre, ni manger, ni me laver, et je flippais encore plus de me voir comme ça. Et en même temps, il est très facile de rester dans cet état, car avec les gouttes, on fait partir les angoisses.

chute_libre_gouttes

La construction a-t-elle été évidente?

chute_libre_carnetPas du tout. Contrairement à mes autres BD, pour lesquelles j’avance au fil de l’eau, je me retrouvais là avec des planches partout, je ne savais pas quoi en faire, ça ne ressemblait à rien! Alors, j’ai écrit. J’ai pris un cahier et je me suis raconté l’histoire à moi-même, avec des mots. Dès lors, la chronologie de mon récit s’est imposée.

Pourquoi Chute libre est-il publié chez Delcourt, et non chez City, comme vos autres titres?

Car c’est un album différent. Je ne voulais pas qu’il soit confondu avec mes précédents, plus légers. Cela aurait sans doute été plus facile de le faire chez City, mais Chute libre était suffisamment important pour moi pour que je prenne mon courage à deux mains et aille frapper à la porte de « plus grands » éditeurs. Je n’avais réalisé que quelques planches et je pensais me ramasser avec mon sujet sur la dépression… Les éditions Delcourt, qui ont été les premières que j’ai contactées – car j’adore les livres d’Aude Picault, Guy Delisle ou Cyril Pedrosa qui y ont été publiés –, ont été tout de suite intéressées.

Avez-vous été inspirées par d’autres livres sur le sujet ou d’autres témoignages?

J’avais rencontré Élodie Durand, dont La Parenthèse [dans lequel elle raconte ses crises d’épilepsie, sa tumeur au cerveau et ses pertes de mémoire] m’a beaucoup marquée, notamment dans l’usage qu’elle fait de ses dessins griffonnés pendant sa maladie.

chute_libre_homme

Quel est votre parcours?

chute_libre_neantJe viens d’une famille où la bande dessinée n’était pas vraiment considérée comme de la lecture… Mais on me laissait dévorer Fluide Glacial ou les albums de Claire Bretécher dont j’adorais le style, l’esprit. Et je crois que j’ai toujours fait de la BD: je racontais déjà des histoires en dessin dans mes carnets d’enfant. Mes parents, qui pensaient que ce n’était pas un vrai métier, m’ont poussé à faire une école; je me suis alors inscrite à l’Esag Penninghen. Puis j’ai travaillé dans la pub, l’illustration, et j’ai lancé un blog qui a bien fonctionné. Pour moi, c’est comme un journal intime et illustré, je le fais d’ailleurs régulièrement imprimer pour que mes enfants puissent garder des carnets.

Quels sont vos projets?

Même si mon blog m’offre la plus grande des libertés, mes quatre premières BD m’ont un peu cantonnée dans le genre « vie quotidienne d’une jeune maman ». Il y aura, j’espère, un après Chute libre, car j’y raconte autre chose que des trucs de fille. J’ai commencé à travailler avec Julien Blanc-Gras, pour adapter son roman Touriste, qui m’avait marqué car il reflétait parfaitement certains de mes carnets où je notais les réflexions des touristes en vacances. On tâtonne encore un peu pour trouver une façon de travailler à deux, mais j’ai très envie de faire ce livre. Car je ne vis que pour ça: faire des livres.

Propos recueillis par Benjamin Roure

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Chute libre – carnets du gouffre.
Par Mademoiselle Caroline.
Delcourt/Mirages, 18,95 €, septembre 2013.

Images © Mademoiselle Caroline/Delcourt – Photo © Vollmer Lo

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