Manuel de la jungle
Et si vous mettiez deux auteurs de bande dessinée au milieu de la jungle guyanaise ? Tel est le propos un brin farfelu et totalement jouissif de dernier album de Nicoby et Joub (Dans l’atelier de Fournier, Mes années bêtes et méchantes) ! Nos deux amis – car ils inspirent obligatoirement une réelle sympathie – décident de partir barouder avec Olivier, prof atypique, plus Tarzan qu’enseignant, et son beau-frère, Jérôme, machette dans une main, fusil dans l’autre. « L’enfer vert » s’ouvre à eux et, avec un brin d’exagération, les deux auteurs nous racontent cette région française d’outre-mer sise dans le continent américain : animaux en tous genres, bruits nocturnes inquiétants, eau trouble recélant de bestioles sympathiques, les nerfs de Nicoby et Joub seront mis à rude épreuve dans cette découverte d’une nature sauvage à la fois splendide et inquiétante … pour notre plus grand plaisir !
Tout d’abord, c’est le plaisir, un brin cruel, de voir nos deux bonshommes embourbés dans cette forêt infernale. Les réactions, volontairement exagérées, apportent une dimension comique indéniable, et on attend la prochaine situation comme le prochain gag d’une série comique. Ensuite, Olivier et Jérôme suscitent à la fois admiration et inquiétude, deux baroudeurs ingénieux qui n’hésitent pas à jouer de la gâchette ; leurs portraits, plus profonds qu’il n’y paraît, apportent une touche plus psychologique à l’ouvrage. Enfin, et cette lecture est là aussi saisissante, derrière le rire se cache un regard, une critique, sans jugement ni complaisance, sur le mal fait aux hommes et à la nature. Les orpailleurs, à la fois hors-la-loi (clandestins, pollueurs, travailleurs illégaux) et victimes, celles de l’extrême pauvreté et des inégalités sociales, offrent un autre angle de lecture, au comique succède la réflexion. L’histoire de Domingo, narrée par Olivier et Jérôme, impose une rupture en trois temps, qui donne à l’ouvrage une dimension sociale indéniable.
Écrite par les deux protagonistes, l’histoire est dessinée Nicoby alors que la couleur échoit à Joub. Les personnages sont croqués, caricaturés, sans recherche de réalisme. Cette distance apporte le comique et sied au côté gags en série. L’aquarelle de Joub est sublime, prouvant au passage qu’un livre comique peut livrer un jeu de couleurs ambitieux. Dans un camaïeu de verts et de bruns, Joub peint habilement la forêt guyanaise et la douce aquarelle se révèle ici sombre, parfois inquiétante. Les auteurs n’hésitent pas à changer de style : des doubles pages sans bulle, véritables tableaux ; des croquis plus enlevés, notamment pour la partie éponyme sur la survie dans une nature hostile. Enfin, la rupture stylistique s’impose encore pour narrer l’histoire de Domingo, à la fois fable et drame social, que les auteurs traitent à la façon d’ombres chinoises.
Ouvrage protéiforme, Manuel de la jungle ne permet peut-être pas de survivre en milieu hostile mais offre une lecture comique et sans concession de cette autre France.
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