Marie pleurait (sur les pieds de Jésus)
Matthieu, apôtre du Christ, se lance dans la rédaction de son évangile bien des années après la crucifixion de Jésus. Tout semble indiquer que Marie était une prostituée mais beaucoup de chrétiens sont contre l’idée même. Comment le suggérer tout en évitant la censure ? Pour y parvenir, il invente une généalogie à Jésus et y introduit des prostituées. Tamar, Rahab, Ruth ou encore Bethsabée, qui a séduit David, y figureront… Sans oublier Marie, soit « cinq femmes qui ont pris sexuellement une initiative pour améliorer leur statut social »…
L’auteur canadien Chester Brown (Le Playboy, Louis Riel, Je ne t’ai jamais aimé…), figure de la scène indépendante nord-américaine, n’aime guère la facilité. Après le troublant mais passionnant 23 prostituées (2012), l’auteur prolonge sa réflexion sous l’angle religieux en livrant une interprétation personnelle de neufs passages du livre le plus lu au monde, la Bible. Interrogeant le rôle et le statut de la femme, Chester Brown dérive ensuite vers les questions de sexualité, d’argent et de morale, par le récit des Écritures.
Son ambition, sonder les paradoxes et mettre en perspective. Il s’arrache ainsi aux représentations classiques de pureté ou de virginité, pour livrer plutôt l’image d’une pratique normale, acceptée, la désobéissance au Tout-puissant étant vu comme un acte salvateur. On suit ainsi avec intérêt les destins de ces cinq femmes avant les explications, ou justifications, de l’auteur à partir de sources et d’extraits bibliques. Brown commente et analyse à partir d’une impressionnante documentation – une centaine de pages entre la postface et les notes. Pas l’envie de polémiquer vainement sur un objet de crispation mais la volonté d’utiliser le medium comme outil du débat en s’appuyant sur les textes bruts avec rigueur et sérieux.
L’épure formelle – gaufrier récurrent en quatre cases, trait limpide, courts chapitres – ne parasite jamais le message. Cela aurait pu être plombant, mais c’est passionnant, et très vite vient l’envie d’aller voir un peu plus loin que la BD. Ambitieux et sincère, sans être jamais purement cérébral, Marie pleurait est un album comme on en lit trop peu. Car si Brown n’emporte pas toujours l’adhésion, il a ce grand mérite d’ouvrir la discussion. Au final, une BD en forme d’exégèse personnelle parfaitement dans l’air du temps, qui développe un regard original et courageux. Chester Brown n’a peut-être jamais été aussi bon.
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