Matthieu Angotti, dans les coulisses de Matignon
Rencontre avec Matthieu Angotti, qui publie avec Robin Recht chez Delcourt Désintégration, le récit de son expérience comme conseiller du Premier ministre Jean-Marc Ayrault en charge de la difficile réforme de la politique d’intégration. Une plongée saisissante et instructive dans les rouages d’un gouvernement au bord de l’implosion, rapportée avec brio par un homme de convictions, qui pose pour la première fois le pied dans le monde de la bande dessinée.
Comment ce projet de BD est-il né ?
L’idée est venue d’un ami dessinateur Robin Recht, qui s’intéressait à la politique et qui avait envie de changer un peu d’univers par rapport à ses albums précédents (Elric, Le Troisième Testament…). Lorsqu’il a su que j’allais travailler à Matignon, il m’a demandé de tenir un journal tous les jours, au cas où il se passe des choses que j’aurais envie de raconter plus tard. Cela fait plusieurs années que je m’essaie à l’écriture, alors ce projet a fait vibrer une corde chez moi.
Lorsque j’étais conseiller, j’ai pris des notes tous les jours. J’ai noté les dialogues bruts avec précision, tels qu’ils se sont dits. Je ne voulais rien raconter de seconde main, quitte à laisser de côté certaines informations que je ne pouvais pas vérifier par moi-même, pour ne pas que le lecteur puisse douter de l’authenticité de ce qui est raconté.
Pourquoi avoir choisi la bande dessinée pour raconter votre expérience ?
Quand on écrit un livre, il est assez facile de parler de politique. On peut aborder des sujets très complexes, mais on se destine toujours à un certain lectorat… Avec la bande dessinée au contraire, on passe par le canal visuel, on touche directement à la sensibilité des gens. Cela permet d’être plus didactique, il y a une dimension presque pédagogique.
Comment avez-vous organisé le travail avec Robin Recht ?
Le travail s’est organisé en plusieurs séquences. Durant les 18 mois que j’ai passé à Matignon, on se voyait une fois par mois dans la pizzeria du coin pour se tenir au courant. Après mon départ, il y a eu un gros vide pendant un an. Je crois que j’avais besoin de souffler, de faire mon deuil. Ensuite, Robin m’a appelé pour me dire qu’il ne comprenait rien aux notes que je lui avais envoyées, que j’ai dû alors retravailler jusqu’à en tirer un gros texte d’une centaine de pages.
C’est à ce moment-là qu’il a fallu décider de l’histoire que nous voulions traiter. Une fois ce choix fait, j’ai produit un synopsis, le texte a été découpé en une quarantaine de scènes, et Robin a fait les premiers croquis des personnages. On a présenté tout cela au monde de la BD, et David Chauvel de Delcourt a été emballé par le projet. Après cela, Robin m’a demandé de faire un tableau à 3 colonnes en séparant l’action, les didascalies et le dialogue. L’idée du gaufrier à 9 cases, que l’on retrouve tout au long du livre, était depuis le début claire dans sa tête.
Enfin, Robin a dessiné. C’était vraiment la meilleure période pour moi, qui n’avais rien à faire d’autre que de recevoir des planches et de faire mes remarques. Au final, j’avais la main sur le texte et Robin sur le style graphique. On s’est fait quelques petits commentaires, mais chacun avait clairement son rôle.
L’album est centré sur le dossier de la politique d’intégration. Le choix de cet angle a-t-il été difficile ?
Ça a été très difficile, de l’ordre du sacrifice. Outre la politique d’intégration, j’ai notamment travaillé à élaborer le plan pauvreté, ce qui est montré au début de l’album. Et c’est très tentant de parler de ses succès, de dire « Regardez ce que j’ai fait », avec ce plan pauvreté par exemple. Mais je me suis rendu compte que pour faire une BD, il fallait une histoire pour la porter, avec un début et une fin. Finalement, le dossier de l’intégration était celui qui présentait le meilleur potentiel.
Comment les personnes représentées ont-elles réagi à l’album ?
Je n’ai eu que des bons retours pour l’instant. J’ai même pu montrer l’album à Jean-Marc Ayrault lorsque je suis passé à son ministère récemment, et sa réaction était positive. Mais étonnamment, certains des personnages principaux de l’album ne m’ont jamais répondu, malgré mes mails leur parlant du projet et même les envois de planches. Pourtant, je n’ai pris personne de court, et j’ai mis tout le monde au courant de ce que je voulais faire.
Vous êtes désigné dans le livre comme « caution vraie gens » par vos collègues énarques, et ce malgré vos études à HEC. Est-ce une fatalité que la politique soit réservée à une certaine élite ?
Durant mon séjour au ministère, nous avons au maximum encouragé la co-construction avec la société civile, ce que je trouve primordial. Nous avons fait collaborer des experts et des citoyens, pour avoir des groupes de travail les plus éclectiques possibles. Un moment qui m’a vraiment marqué était lors de la validation finale de la « Garantie Jeunes », une sorte de RSA pour les 16-25 ans. Nous avons pu faire participer à la réunion une jeune femme de la mission locale de Carcassonne, qui avait suivi le projet depuis le départ. Et cela s’est passé à Matignon, en présence du Premier ministre ! Ce genre de victoires, c’est pour moi un premier pas. Mais il est aussi évident qu’il faut revoir les processus de sélection et les concours, qui sont dans leur nature même des machines à reproduire les élites. Nous avions fait des tentatives pour aller dans ce sens, mais elles ont tout de suite été torpillées…
Pensez-vous que la gauche ait totalement laissé tomber la question de l’intégration ?
Il est vrai que l’on fait encore trop l’amalgame entre immigration et intégration. Et certains saisissent le prétexte de la laïcité à la première occasion, comme on a pu le voir avec Manuel Valls et l’histoire du burkini. Mais j’ai eu une bonne surprise fin mars, avec la publication d’un rapport intitulé « Pour construire un monde commun : l’urgence d’une politique d’intégration » par le think tank de gauche Terra Nova. Je pense qu’il faut y croire, la question de l’intégration va finir par revenir.
Si l’occasion se présentait, seriez-vous prêt à travailler de nouveau sur ces thématiques, pour un autre gouvernement ?
Ce que j’ai compris avec cette expérience, c’est qu’il faut être en cohérence avec le contexte dans lequel on travaille… Ce qui est particulièrement difficile quand celui-ci est incohérent, comme on peut le voir dans l’album. Quand on est entouré de gens hostiles à ce que l’on veut faire passer, il ne suffit pas d’y croire, cela ne marche pas. Pour être clair, je n’irais pas travailler avec un gouvernement de droite : il y a des clivages politiques, et il faut les assumer. Bien entendu, c’est grisant de sentir que l’on peut faire changer les choses, mais il ne faut pas non plus se retrouver en porte-à-faux.
Aujourd’hui, je travaille au Centre communal d’action sociale de la ville de Grenoble. Je ne suis pas vraiment sur le terrain mais je suis quand même beaucoup plus proche du réel qu’auparavant, même quand je travaillais pour des associations. Cela me fait énormément de bien, j’apprends et je comprends plein de choses, et je sens que j’ai plus de maîtrise sur ce qui se passe autour de moi que lorsque j’étais conseiller.
Avez-vous d’autres projets de bande dessinée ?
Pourquoi pas ! Mais le gros écueil, c’est d’avoir une histoire à raconter. Pour que je recommence, il faudrait que quelque chose d’énorme m’arrive, ou alors que je me tourne vers la fiction. Malgré l’envie que l’on peut avoir de faire des reportages, ce qu’il faut, c’est une bonne histoire pour arriver à focaliser l’attention du lecteur, comme dans Quai d’Orsay, que Robin et moi avons vraiment pris comme modèle, ou La Présidente. Le monde de la BD, c’est tout nouveau pour moi, mais ça me plaît vraiment.
Propos recueillis par Léa Foglar et Blandine Champagneur
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Désintégration.
Par Matthieu Angotti et Robin Recht.
Delcourt, 17.95 €, mars 2017.
Photo auteur © Vollmer-Lo.
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