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Matthieu Blanchin, le récit d’une bataille pour la vie

17 août 2015 |

Matthieu Blanchin rencontre en 2008 un succès critique et public avec sa série Martha Jane Cannaryscénarisée par Christian Perrissin. Parallèlement, il tente de (sur)vivre après qu’une tumeur au cerveau l’ait plongé dans le coma : car au sortir de ce long tunnel, c’est un homme en mille morceaux qui tente de se reconstruire, malgré les rechutes, les crises d’épilepsie et les inquiétudes de ses proches. Son ouvrage, Quand vous pensiez que j’étais mort, véritable biographie cathartique nous emmène dans ce long voyage, aux confins du cerveau de Blanchin. Aujourd’hui, à 50 ans, c’est un homme pacifié et réconcilié qui se confie.

mbComment avez-vous construit et pensé Quand vous pensiez que j’étais mort ?

C’est une dizaine d’années de souvenirs couchés par écrit, dessinés, au gré de mon inspiration et des sensations que je voulais retranscrire. C’est un album très personnel où l’on trouve mon histoire, ma famille, mes souffrances et mon chemin vers la quiétude. Une fois ces divers souvenirs collectés, j’ai, pendant six mois, écrit afin de « déposer une matière », que j’ai mis en forme trois ans durant. J’ai appris à écrire des histoires à la façon d’un storyboard. Je trace une ligne, comme une colonne vertébrale, découpée en séquences qui forment des unités narratives. Donc on trouve un incipit (le mal de tête, les enfants, l’anniversaire de Jeanne [sa fille, ndr]…), suivi d’une longue séquence sur les « rêves et voyages» du coma…

Séquence qui donne d’ailleurs lieu à des dessins hallucinés !

Cet ouvrage est en blanc et noir pour donner une fluidité narrative qui rapproche le dessin de l’écriture. J’essaie d’utiliser tous les outils à ma disposition : plume, pinceaux, encre de Chine, aquarelle, mines de plomb… L’important, la quête, c’est le mouvement mais aussi de suggérer des nuances, comme avec le lavis qui permet de travailler la lumière. Je cherche à traduire l’intériorité des personnages par le mouvement, que cela soit dans Martha Jane Cannary comme dans Quand vous pensiez que j’étais mort. Pour moi, c’est le but du dessin ! D’ailleurs, je suis d’abord un amateur de dessins avant d’être un lecteur de bande dessinée : ainsi mes références vont d’Arthur Rackham, grand illustrateur anglais du 19e siècle, et Heinrich Kley, fabuleux illustrateur américain, à Hugo Pratt, en passant par Franquin ! Le mouvement et les nuances par le jeu de lumières, voilà une base pour traduire l’intériorité des hommes.

blanchin_1Le livre est très intime, et montre beaucoup votre entourage.

Cet ouvrage traduit aussi les moments difficiles ressentis par les autres, surtout ma femme, qui m’a accompagné pendant tout ce temps. Le sentiment de peur était très présent : les crises d’épilepsie, les risques de rechute, … Aujourd’hui, mes enfants ont quinze et dix ans. L’aînée était très jeune alors, et j’évoque la naissance de l’autre dans l’album. Je pense qu’ils posent sur lui un regard impressionné et distancié à la fois, du fait de leur très jeune âge au moment des faits. Marius m’a un jour dit après sa lecture : « Toi, tu sais ce qu’est la souffrance ». Quant à ma fille, elle m’a récemment demandé de lui dédicacer l’ouvrage … puisque son frère en avait déjà un ! En tout cas le sens de ma vie, et le chemin que j’ai entrepris pour me retrouver, s’incarne aujourd’hui dans le fait d’être père et de m’occuper de mes enfants. Pour mes parents, c’est plus compliqué. Il peut y avoir, en plus de la peur ressentie face à la tumeur, comme un blocage par rapport à certains faits que je raconte, surtout dans ma façon d’associer mes deux tumeurs à la nécessaire compréhension de ma vie.

Le parcours psychanalytique invoque irrémédiablement le passé…

Oui. Le livre commence avec les deux ans de ma fille, âge que j’avais lorsque ma mère me confie aux soins de ma grand-mère. Et mon mal de tête insoutenable commence ce jour-là. Non, ce n’est certainement pas un hasard. Par rapport à cette période, j’aurais pu raconter des dizaines d’anecdotes sur ma vie ; j’ai surtout décidé de la raconter comme je la ressentais, c’est-à-dire dans toute sa tragi-comédie. Rien n’est jamais univoque. Encore une fois, j’invoque le mouvement : la vie, c’est oser aller dans des zones peu confortables pour soi. On a trop tendance, comme je l’ai fait, à vivre dans le déni, or à un moment, l’armure que l’on s’est créé explose en mille morceaux ; là il est nécessaire de se reconstruire. Cette tumeur que j’ai développée était non cancéreuse, c’était finalement comme l’émergence d’un nouveau cerveau. Quel sens donner à cela ? Et puis, il y a cette seconde tumeur, comme si je n’avais finalement pas compris quelque chose … c’est comme un rappel. Qu’est-ce que je n’ai pas compris sur mon être pour que ce signal se manifeste une fois de plus ?

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Devant tant de souffrances, n’a-t-on pas envie de baisser les bras, de choisir la voie la plus simple ?

Dans la BD, il est écrit que je transforme le « tu meurs » – tumeur – en « tu vis ». Si je m’incarne, c’est pour aller le plus loin possible. On est sur terre pour un apprentissage précis. La mort, c’est une réalité qui donne sens à sa vie, et non l’opposé de la vie. C’est parce qu’il y a une fin qu’il y a du sens. J’ai souvent ressenti pendant cette période que ce n’était pas le moment pour moi de quitter la vie.

C’est là qu’intervient votre parcours thérapeutique, qui peut apparaître atypique dans nos sociétés occidentales.

Bien sûr, mais sans rejeter la médecine occidentale, qui m’a sauvé la vie, j’ai pu aller chercher d’autres voies. Comme l’homéopathie uniciste qui cherche à soigner l’être plus que le symptôme. De nos jours, beaucoup de médecines complémentaires travaillent autour de cette idée. J’ai énormément pratiqué la méditation pendant la radiothérapie. Et aujourd’hui, infirmiers ou médecins commencent à être sensibilisés à ces pratiques holistiques. Comme je l’explique dans la BD, je suis sorti de l’injonction extérieure pour essayer de retrouver un sens à mon moi profond, à mon intérieur. J’ai choisi de pratiquer la psychanalyse transgénérationnelle, qui pousse à accueillir les émotions. Et puis j’ai tracé ma propre voie, je me suis mis à pratiquer en tant que thérapeute, jusqu’à vivre cette expérience, qui est le finale de mon livre, avec un chef amérindien. Une révélation.

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Et aujourd’hui ?

Ça va. Je suis régulièrement contrôlé, bien sûr, mais je suis guéri et, par ce long chemin parcouru, je suis aussi apaisé. Devenir mon propre clinicien m’a permis de passer de soigné à soignant. Je travaille aussi maintenant sur une nouvelle bande dessinée, avec Christian Perrissin, à partir d’un carnet découvert ayant appartenu au navigateur-voyageur britannique George Anson : un homme du 18e siècle qui n’était pas de son temps. J’aime ce décalage, déjà présent dans Martha Jane Cannary, une femme de l’Ouest en désaccord avec les mœurs d’alors. Dans ces deux histoires, le fil reste le même : la quête de soi !

Propos recueillis par Marc Lamonzie

 

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quand_vous_pensiez_couvQuand vous pensiez que j’étais mort
Par Matthieu Blanchin.
Futuropolis, 24€, le 8 janvier 2015.

Images © Futuropolis.

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