Michel Rabagliati et le Montréalais moyen
2015 est une une belle année pour Paul : un film et un nouvel album. Ce héros « bon enfant », double avoué de son auteur, le Québécois Michel Rabagliati, est toujours très aimé du public après plus de 10 ans d’existence et trouve un nouveau moyen d’expression avec la sortie au cinéma de l’adaptation de Paul à Québec. S’y ajoute la publication de Paul dans le Nord, 8e tome de ses aventures, centré sur son adolescence et son premier amour. L’occasion de rencontrer un auteur sincère à un tournant de sa vie…
Quel moment de la vie de votre héros évoque Paul dans le Nord ?
Ça se passe après Paul au parc et avant Paul a un travail d’été. Il a 16 ans, sa sœur vient de quitter la maison, il se retrouve tout seul avec ses parents, dans un nouveau quartier, une nouvelle école. Il s’emmerde, a des boutons, est de mauvais poil. Il est moins sympathique que dans les autres albums… sauf quand il est avec son ami Marc, qui le fait sortir au ciné, au match. Paul est un personnage qu’il faut pousser : c’est toujours quelqu’un, ou des évènements, qui l’amène vers l’aventure. Il vit aussi sa première véritable histoire d’amour, dans la guimauve jusqu’au cou. Il n’a que la pédale d’accélérateur et pas de frein, il est envahissant, toujours après elle… et elle le laisse pour un ami.
Je me souviens d’être tombé dans une dépression incroyable, à écouter en boucle une chanson de Beau dommage déprimante [il chante, très bien, quelques paroles de la chanson]. J’évoque cette période, car ma femme et moi venons de nous séparer après 30 ans de mariage. J’ai puisé dans des récits d’enfance, car je n’avais plus de raison de parler d’elle. C’est le piège quand on prend le parti de parler de sa vraie vie.
Comment vos proches prennent-ils le fait que vous parliez d’eux sans cesse ?
Quand j’ai parlé du métier de ma belle-sœur [dans Paul à la pêche], qui est mère-visiteuse (équivalent au Québec des conseillers en économie sociale et familiale) et qui vit des choses très dures, je lui ai d’abord montré les pages. J’ai été obligé de changer les noms, les lieux, et j’avais besoin de son aval pour vampiriser sa vie professionnelle. Le reste du temps, je ne demande rien à mes proches, car je leur fais la part belle, ils sont à leur avantage et contents de se voir dans les BD. Et puis c’est un univers gentil, bon enfant, sans conflit, avec un couple harmonieux… ça peut en emmerder quelques-uns.
L’album fourmille de détails très précis sur les années 1975-1976. Avec quel matériau travaillez-vous ?
Je regarde toujours ce qui s’est passé au niveau politique, musical, j’ai un coté didactique à la Hergé. Dans Tintin au Tibet, il montre les costumes nationaux, les montagnes, les yacks, avec un souci d’éducation ! Moi, j’utilise Internet, des catalogues de marchandises, d’architecture. Et puis c’est moins ennuyeux d’aller à vélo prendre des photos, plutôt que de dessiner des coins de rue inventés. Cela participe au plaisir du lecteur de revoir les manteaux en jeans, les t-shirts de Pink Floyd, les cheveux un peu long. L’album se passe pendant la construction du stade de Montréal et les Jeux olympiques. C’était la première fois qu’un pays hôte ramenait zéro médaille d’or, on n’avait pas les athlètes qu’il fallait… Et ce stade dont le toit n’a jamais fonctionné, on le paie encore !
Pourquoi Paul est-il si populaire ?
Les gens au Québec se retrouvent dans Paul, le Montréalais moyen : il n’est pas pilote d’avion dans l’armée américaine ! Il va en vacances, a un appartement, voit son enfant grandir, perd un proche dans Paul à Québec. Les Montréalais aiment aussi reconnaître leur coin de rue, des détails architecturaux. Un peu comme quand Michel Tremblay (auteur québécois très populaire) évoque le menu de Noël des habitants de Montréal.
Comment écrivez-vous un épisode de la série ?
J’établis un synopsis : 4 pages pour 150 planches. Je prends ensuite plaisir à faire le découpage, la mise en scène. La suite, le crayonnage et l’encrage, m’ennuient profondément, je m’achète beaucoup de CD pour tenir le coup. En fait, si je devais changer de métier, je me tournerais vers l’écriture, ce serait une bonne façon de continuer à raconter. Mais il y a beaucoup d’écrivains au Québec, alors qu’en BD, le champ est libre, on compte peu d’auteurs et d’éditeurs. Les éditions La Pastèque vont même en chercher à l’étranger, plutôt que de publier n’importe quoi. Je suis fier de ce qu’ils sortent, ils sont capables de dire aux auteurs « retourne travailler » !
Quelle est votre histoire avec les éditions de La Pastèque ?
J’avais fait une petit BD, Paul à la campagne, en 1998, pour passer le temps entre deux commandes d’illustration, du tricot pour meubler quelques heures. J’en avais fait des photocopies pour donner à ma famille à Noël : « achevé de photocopier chez Copycentre au coin de la rue » !
J’ai rencontré La Pastèque alors qu’ils [Frédéric Gauthier et Martin Brault] étaient libraires. Je leur ai montré ma BD, ils ont eu envie de la publier et j’ai ajouté une deuxième histoire, Paul apprenti typographe. On a démarré ensemble, on a eu des encouragements : 500 exemplaires vendus et Drawn & Quaterly [grand éditeur canadien de bandes dessinées en langue anglaise] l’a pris tout de suite. J’ai continué à travailler sur mes albums un jour par semaine, je faisais une page par vendredi… J’ai mis 2 ans à faire Paul a un travail d’été.
Je bénéficie de beaucoup d’échos au Québec dans les journaux, les émissions de télé… Les médias aiment en parler, c’est pas trash, c’est lu par tout le monde. Mais en anglais, ça ne marche pas très bien : le joual (dialecte populaire québécois) ne passe pas, on perd du plaisir. Je soupçonne aussi les lecteurs anglophones de préférer les histoires plus tourmentées de Joe Matt, Chester Brown, Adrian Tomine ou Daniel Clowes. Je n’ai pas non plus le public des super-héros. Je crois que Paul est un peu trop sweet pour eux.
Quelles sont vos influences ?
Tintin, Gaston, Astérix, Gotlib. J’ai été nourri à ça, pas du tout aux super-héros. Jeune, je copiais des Gaston, je faisais des essais, j’ai beaucoup détruit… Mais j’ai bien fait d’attendre pour écrire : avant, je n’avais rien à raconter. Les lectures qui m’ont marqué sont Chester Brown, Julie Doucet, Berberian, David B, j’adore L’Ascension du Haut Mal… C’est le plausible qui m’intéressais dans l’affaire : je pouvais faire avancer une histoire sans être une bête de dessin. J’ai un système graphique simple, proche de celui de Miroslav Sasek, un illustrateur des années 1960 qui faisait des illustrations des villes d’Europe.
Les aventures de Paul se poursuivent au cinéma. Comment avez-vous participé au film ?
J’avais vu Histoires d’hiver (une histoire de famille et de hockey proche de l’univers de Paul) de François Bouvier. J’ai mis deux BD dans une enveloppe, je lui ai envoyé ça avec une lettre, il m’a rappelé ! Karine Vanasse (actrice et productrice québécoise) nous a proposé de produire Paul à Québec. Il a fallu mettre le personnage de Paul en avant, car il est très en retrait dans l’album : on l’a donc rapproché de Roland, son beau-père. Dans le film, on le voit dessiner, ce qu’il ne fait jamais dans les albums : on fait croire qu’il devient dessinateur au moment de la mort de son beau-père, en réalité c’est au moment de Paul à la campagne. J’ai coécrit le scénario et ma main joue son rôle dans le film, à la place de celle de François Letourneau (l’acteur qui joue Paul), on peut aussi me voir dans ma propre chorale. Mais quand les caméras s’installent, je m’arrête, ce n’est plus le temps de changer d’idée ! J’ai aussi réalisé les dessins animés qui ouvrent et ferment le film.
Y a-t-il une vie après Paul ?
Je vais commencer par me reposer, car j’ai eu une grosse année émotivement et dans le travail. Mais je prends des notes sur des choses dont j’aurais envie de parler. Je pense faire un nouveau synopsis au printemps, une histoire de Paul à 50 ans. Je n’ai plus grand chose à raconter côté enfance…
Propos recueillis par Mélanie Monroy
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Paul dans le Nord.
Par Michel Rabagliati.
La Pastèque, 23 €, novembre 2015.
Paul à Québec.
Film de François Bouvier, sorti en septembre 2015 au Québec.
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