Mitterrand Requiem
Alors qu’il vit ses derniers jours, gravement atteint par un cancer de la prostate, l’ancien président François Mitterrand médite sur sa vie et sa carrière, dans son hôtel avec vue imprenable sur le Nil. Nous sommes en décembre 1995, peu avant sa mort. Son médecin personnel, Mazarine et Anne Pingeot sont du voyage. Mais aussi Anubis, dieu des morts, qui l’invite à un dernier examen de conscience : regarder la mort en face, faire corps avec le mystère de l’au-delà pour atteindre, peut-être, la paix intérieure…
Hasard éditorial ou pas, la figure de Mitterrand inspire les auteurs de BD à l’occasion des vingt ans du décès de l’ancien président. Après le très bon Mitterrand, un jeune homme de droite par Frédéric Rébéna et Philippe Richelle qui se penchait sur les années de formation, Mitterrand Requiem signé Joël Callède ne fait pas moins bien. Mieux, il vient compléter à merveille le premier cité en sondant le destin politique de ce personnage ambigu. L’intérêt de l’album de Callède réside dans l’originalité de l’angle choisi : celui de la quête mystique et spirituelle, conforme à l’image laissée par l’homme d’État érudit : « Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas. »
Ainsi Mitterrand dialogue-t-il avec les morts et les vivants – Jaurès ou Moulin, son médecin ou Danièle – retrace une carrière sous de Gaulle et Pétain, entre ombres gênantes (son passé de vichysto-résistant, responsabilité dans les « événements » d’Algérie sous la IVe République, trahisons politiques et familiales) et lumières politiques (abolition de la peine de mort, victoire de 1981). Il a manipulé, dirigé, souffert et aimé. Au crépuscule de sa vie, c’est l’image d’un Mitterrand intime, mystique, en quête de réponses, que dessine Callède. Sans juger et sans grandiloquence mais avec l’envie d’explorer des questions universelles (la mort) via un personnage confronté à ses démons.
La réussite est avant tout narrative : dialogues ciselés, personnages vivants et incarnés, mise en scène étonnante (qui prête parfois à sourire), le face à face ésotérique intéresse de bout en bout car l’introspection, apaisée ou tourmentée, navigue entre cauchemars et douloureuse lucidité. Avant le repos salvateur. Mais Joël Callède, qu’on n’attendait pas au dessin, enveloppe le tout de couleurs justes. Et étonnamment, l’ensemble reste dynamique malgré les longues scènes de débat ou des décors sommaires. Grand président ou pas, fidèle à des idéaux ou pas, qu’importe les réponses. Car la synthèse et le personnage séduisent avant tout pour leurs questionnements. Une belle prise de risque au pays de la métaphysique.
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