Monk !
Comme sa musique, il était instable, imprévisible. Pas incohérent, mais perché très haut, trop haut pour les critiques frileux et les musiciens étroits. Thelonious Monk était un personnage curieux et fascinant, génial par de nombreux côtés, insaisissable par ailleurs. À la suite de Charlie Parker et Dizzy Gillespie, ce pianiste inspiré inventa le bebop, et laissa certaines des plus belles compositions du jazz moderne, telle ‘Round midnight. Et ce, grâce à l’amitié de la baronne Panonnica de Koenigswarter, mécène visionnaire et engagée.
C’est à travers la relation profonde (mais chaste) qu’il entretenait avec cette descendante des Rothschild que Thelonious Monk est conté ici, dans une épaisse biographie qui ne se contente pas de quelques anecdotes de jazzman, mais va fureter aux sources de la création musicale. Pour comprendre les fameuses « fausses notes » de Monk, son choix de marteler le clavier de ses doigts raides, les conséquences du racisme et du regard des autres. Pour percer le secret de la petite musique mentale d’un artiste instinctif et incisif. Ce secret, c’est ce que cherchait Pannonica, séduite par l’immense liberté que s’accordait Monk – au prix d’un certain rejet d’autres musiciens, parfois –, et en même temps convaincue de la nécessité de protéger un homme fragile. Qui d’ailleurs passa les dernières années de sa vie sans toucher un piano. Youssef Daoudi (bien loin du style des Maîtres de guerre, Mayday ou La Trilogie noire) prend le temps de creuser ces figures, et de se plonger dans les morceaux, au fil de 350 pages peu denses, à la narration très lisible, portées par le souffle du jazz à la fois charnel et cérébral de Monk. Parfaitement documenté, son album va bien au-delà de la simple bio pour se muer en chant d’amour pour une oeuvre et un artiste hors norme : il risque donc de paraître un peu hermétique, par moments, à qui n’est pas familier du jazz d’après guerre. Mais dans l’ensemble, il s’agit là d’un beau livre sur la musique, sincère, juste et sensible comme rarement, qui donnera immanquablement envie d’aller se replonger dans les enregistrements de ce drôle d’oiseau de Monk.
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