Philippe, que tout le monde appelle Flip, est ouvrier dans une usine de clefs à sardines, et il respire l’ennui. Quand sa copine le plaque, patatras, son minuscule monde s’écroule, il se saoule et pose sa silhouette dégingandée sur un rond-point. Il n’assiste pas alors à la fermeture surprise de son usine par un patron voyou. Non, il se fait récupérer par un musicien hirsute et débonnaire, et les voilà partis sur les routes escarpées de l’Ardèche, à la recherche d’une maison qui résonnerait de reggae…

Après Port Nawak, David Prudhomme s’attèle à une autre histoire de Jef Hautot, écrite il y a plus de 15 ans. À l’époque, l’auteur de Rébétiko n’avait pas trouvé les solutions graphiques et narratives pour donner vie à ce scénario foutraque, dans lequel l’anti-héros, pensant qu’il est mort, se débat avec ses congénères. Le temps a fait son oeuvre, et le dessinateur propose aujourd’hui un graphisme épatant, jouant avec la planche comme un matériau malléable à souhait, capable d’accueillir toutes les audaces. Il entrecroise les lignes et les aplats, les figures et les paysages, pour que chacune de ses pages forme un ensemble narratif toujours dynamique, poussant le lecteur à naviguer entre les cases. Les personnages sont habilement caricaturés, avec pour principale trouvaille le design de Flip, une ombre presque entièrement noire, dont la grande expressivité provient uniquement de la gestuelle. Grâce à son humour caustique, ses dialogues bien tournés et surtout son intelligence visuelle, on dévore avec délectation cet album largement accessible, qui prouve que la recherche autour du medium BD n’est pas réservée qu’aux expérimentations arides.